La Citroën 2 CV Fourgonnette type AZU incarne une dimension essentielle, bien que souvent méconnue, du génie industriel et social de Citroën. Commercialisée de 1954 à 1977, cette utilitaire légère fut bien plus qu’une simple déclinaison commerciale de la célèbre « Deuche » ; elle fut un outil de travail et un vecteur de modernisation pour des centaines de milliers d’artisans, de commerçants et de petites entreprises de l’après-guerre. Alors que la 2CV berline était conçue pour répondre au besoin de motorisation des populations rurales, l’AZU fut créée pour accompagner le dynamisme économique renaissant, en offrant un véhicule robuste, économique et d’une remarquable ingéniosité. Son nom même, AZU, résume son identité : « A » pour la série, « Z » pour son moteur de 425 cm³, et « U » pour « Utilitaire ». Elle succédait à la première fourgonnette AU, dont le moteur de 375 cm³ s’était avéré trop faible, et s’imposa rapidement comme un maillon indispensable de la logistique française. Avec sa silhouette caractéristique, son châssis éprouvé et sa philosophie de simplicité absolue, l’AZU a transporté bien plus que des marchandises ; elle a porté les rêves et les efforts d’une génération entière. Cette analyse se propose de retracer l’histoire, la conception, le rôle économique et l’héritage de ce véhicule iconique, qui demeure, dans l’ombre de sa cousine berline, un témoin capital de l’histoire automobile et sociale du XXe siècle.
Contexte historique et genèse du modèle
La genèse de la Citroën 2 CV Fourgonnette type AZU s’inscrit dans la continuité du projet visionnaire de Pierre-Jules Boulanger, qui imagina dans les années 1930 une voiture capable de motoriser la France rurale. Si la 2CV berline fut présentée en 1948 pour répondre à ce besoin, il devint rapidement évident qu’une version utilitaire était nécessaire pour soutenir l’activité des artisans et des petits commerçants. Ainsi, la première fourgonnette, l’AU, fut lancée en 1951. Cependant, équipée du modeste moteur de 375 cm³ de la berline, elle souffrait d’un manque de puissance criant, affichant une vitesse de pointe à peine supérieure à 60 km/h, ce qui la rendait peu adaptée à un usage intensif. Citroën réagit rapidement à ce problème et, dès septembre 1954, lança la 2CV AZU. La principale innovation résidait dans son moteur de 425 cm³, emprunté à la berline AZ, qui développait une puissance de 12 chevaux. Ce gain de puissance, bien que modeste en apparence, était décisif : il permettait enfin à la fourgonnette de transporter sa charge utile nominale de 250 kg dans des conditions décentes, sans compromettre sa légendaire économie de fonctionnement. La production de ces véhicules fut transférée à l’usine Panhard de la Porte d’Ivry à Paris à partir de l’automne 1955, où elle se poursuivit jusqu’en 1969, permettant une accélération du rythme de production pour répondre à une demande croissante. L’AZU n’était donc pas une simple expérience, mais une réponse réfléchie et industrialisée à une demande économique réelle. Elle s’inscrivait dans la stratégie de Citroën de décliner la plateforme technique de la 2CV – la fameuse « Série A » – en une famille de véhicules cohérente, couvrant un large spectre d’usages, de la voiture particulière au véhicule professionnel. Son lancement marqua le début d’une carrière industrielle longue de plus de deux décennies, qui verrait l’AZU devenir un paysage familier des rues et des routes de France.
Design et caractéristiques techniques
Sur le plan esthétique, la Citroën 2 CV AZU partageait la silhouette caractéristique et fonctionnelle de la berline, mais avec une carrosserie rehaussée et aménagée pour le fret. Son volume de chargement était de 1,88 m³, un chiffre respectable pour l’époque. La conception était d’une rationalité absolue. La roue de secours était logée dans un coffre latéral intégré au flanc gauche de la carrosserie, une solution ingénieuse qui évitait d’empiéter sur le précieux volume intérieur. Le réservoir d’essence de 25 litres était situé symétriquement sur le flanc droit. L’habitacle, résolument spartiate, était partagé avec la berline, avec un tableau de bord minimaliste équipé d’un simple compteur de vitesse et d’un voltmètre. La visibilité vers l’arrière était notoirement réduite, initialement assurée seulement par de petits hublots ovales sur les portes arrière, remplacés par des vitres carrées à partir de mars 1963 pour améliorer la luminosité et la sécurité. Comme la berline, elle était équipée en série des révolutionnaires pneus Michelin à structure radiale. La suspension, chef-d’œuvre d’ingénierie d’Alphonse Forceau, reprenait le système interconnecté à barres de torsion de la 2CV, conçu à l’origine pour traverser un champ labouré sans briser un chargement d’œufs. Cette architecture offrait un débattement exceptionnel et un confort de roulement inégalé pour un véhicule utilitaire, capable d’absorber les pires irrégularités des chaussées de l’époque. La direction était une simple crémaillère non assistée, et les freins, à l’origine à tambours sur les quatre roues, évoluèrent par la suite. La carrosserie de l’AZU connut plusieurs évolutions stylistiques majeures, s’alignant généralement sur celles de la berline. En 1961, elle adopta un nouveau capot à cinq nervures et une calandre plus petite. En 1964, les portières avant furent modifiées pour s’ouvrir dans le sens de la marche, une exigence des nouvelles normes de sécurité. En 1972, la version AZU « série B » reçut une carrosserie aux nervures plates et le moteur 435 cm³ de la 2CV 4, tout en conservant son appellation commerciale « Citroën 250 ». Ces améliorations continues démontrent l’attention portée par Citroën à ce modèle tout au long de sa carrière.
Positionnement sur le marché et réception
Le positionnement de la Citroën 2 CV AZU sur le marché des utilitaires légers des années 1950 et 1960 était aussi clair que radical. Elle se présentait comme la fourgonnette la plus économique, la plus simple et la plus robuste que l’on puisse acheter. Son prix d’achat et son coût d’entretien dérisoires en firent rapidement le véhicule de prédilection d’une myriade de petits entrepreneurs, d’artisans et de commerçants. Elle devint un outil indispensable pour les livraisons en ville et à la campagne, capable de se faufiler dans les ruelles étroites et de s’aventurer sur des chemins difficilement accessibles à des véhicules plus imposants. Sa clientèle était extrêmement diversifiée, allant du boulanger au plombier, en passant par le facteur. D’ailleurs, des administrations publiques de premier plan, comme La Poste et Électricité de France (EDF), en firent un de leurs véhicules de service standard. Ces versions « Administration » étaient souvent équipées de spécificités telles qu’un pare-chocs avant tubulaire, une plaque de protection sous le moteur et un pare-chocs arrière surélevé, leur permettant d’affronter les chemins de terre et les conditions les plus difficiles. La réception de l’AZU par le public et les professionnels fut extrêmement positive. Elle fut saluée pour sa polyvalence, sa frugalité et sa fiabilité légendaire. Sa simplicité mécanique permettait à presque任何人 de l’entretenir ou de la réparer avec des outils basiques, un argument de poids à une époque où le réseau de garagistes était moins dense. Au sein de la gamme Citroën, l’AZU occupait une place centrale dans la stratégie des véhicules légers. Elle fut progressivement rejointe et complétée par d’autres modèles dérivés de la plateforme A, comme la fourgonnette AK 350 (puis AKS 400), plus longue et dotée du moteur 602 cm³ de l’Ami 6, offrant une capacité de chargement accrue. En 1978, la production de l’AZU cessa définitivement, laissant sa place à l’Acadiane, elle-même basée sur la Dyane. L’AZU avait rempli sa mission avec brio, ayant contribué à motoriser et à moderniser le tissu économique français pendant près d’un quart de siècle.
Performances, confort et expérience de conduite
Au volant de la Citroën 2 CV AZU, l’expérience de conduite était unique et ne pouvait être jugée à l’aune des standards automobiles modernes. Les performances, bien que très modestes, étaient parfaitement adaptées à sa mission utilitaire. Le bicylindre à plat de 425 cm³, refroidi par air, développait une puissance initiale de 12 chevaux, portée à 18 chevaux SAE en 1963. Cette motorisation conférait à la fourgonnette des accélérations très progressives et une vitesse de pointe avoisinant les 80 km/h, suffisante pour un usage principalement urbain et périurbain. Le moteur était bruyant et vibrant, mais son ronronnement caractéristique faisait partie de son charme et de son identité. La conduite nécessitait une anticipation constante, notamment pour les dépassements ou les montées. La boîte de vitesses manuelle à quatre rapports, dont la première était une vitesse ultra-courte (« supercrawling gear ») très utile pour manœuvrer en charge ou sur des terrains difficiles, demandait une certaine habitude pour être manœuvrée avec précision. En revanche, le point fort de l’AZU, hérité de la berline, était son confort de roulement. Sa suspension à grande course lui permettait d’effacer les nids-de-poule et les routes dégradées avec une efficacité remarquable, protégeant à la fois le véhicule, le chauffeur et la marchandise transportée. L’habitacle était spartiate et bruyant, bercé par le son du moteur et le vent s’engouffrant dans l’habitacle. Le chauffeur était assis sur une banquette simple, face à un volant bakélite et à des commandes d’une simplicité enfantine. Le confort thermique et acoustique était sommaire, mais cette austérité assumée conférait une sensation de connexion directe avec la route et la machine. Conduire une AZU n’était pas une question de performance ou de plaisir pur, mais une expérience utilitaire et mécanique honnête, où le conducteur était pleinement impliqué dans l’acte de conduire.
Héritage et postérité du modèle
L’héritage laissé par la Citroën 2 CV AZU est considérable, tant sur le plan industriel que culturel. Avec près de 1 246 299 exemplaires produits tous modèles de fourgonnettes 2CV confondus, elle a marqué plusieurs générations de professionnels et demeure un symbole fort de l’essor économique des Trente Glorieuses. Techniquement, elle a démontré qu’il était possible de concevoir un véhicule utilitaire extrêmement rationalisé, fiable et parfaitement adapté aux besoins de son époque, sans recourir à une complexité superflue. Son empreinte sur la culture populaire est indélébile. L’AZU est aujourd’hui une icône, immédiatement reconnaissable et chargée de nostalgie. Elle est devenue un objet de collection très recherché, fédérant une communauté de passionnés à travers l’Europe. Les exemplaires en bon état, surtout ceux ayant fait l’objet d’une restauration soignée, peuvent atteindre des valeurs significatives sur le marché des collectionneurs, comme en témoigne la vente aux enchères d’un exemplaire de 1959 restauré pour la somme de 13 000 livres sterling. Son esprit perdure même dans les productions contemporaines de Citroën. En 2022, le coachbuilder italien Caselani, en collaboration officielle avec Citroën, a présenté le « Berlingo 2CV Fourgonnette », une reinterpretation moderne de l’AZU basée sur le Berlingo actuel. Ce projet, qui intègre des éléments stylistiques emblématiques comme la calandre en M, les phares ronds et les tôles ondulées, bien que désormais décoratives, prouve la force intemporelle du design et de l’identité de l’AZU. Elle a transcendé son statut d’outil de travail pour devenir un monument du patrimoine automobile, célébrée pour son intelligence conceptuelle, son inaltérable charme et la place unique qu’elle a occupée dans le paysage économique et social de la France.
Conclusion
En définitive, la Citroën 2 CV Fourgonnette type AZU représente bien plus qu’un simple dérivé utilitaire de la 2CV ; elle est l’incarnation du pragmatisme, de la robustesse et d’une forme de génie mécanique populaire. Tout au long de sa carrière, elle est restée fidèle à son ADN : l’économie de moyens, la simplicité et une polyvalence qui en firent la complice indispensable de tout un peuple de travailleurs. Dans un monde automobile souvent obsédé par la puissance et le prestige, elle a courageusement assumé son identité utilitaire, offrant une solution de transport honnête, durable et remarquablement efficace. Bien plus qu’un simple moyen de transport de marchandises, elle fut un outil d’émancipation économique, un témoin actif de la modernisation de la France et, finalement, un objet de patrimoine dont la valeur sentimentale et historique dépasse largement sa fonction première. Son héritage se perpétue à travers les nombreux collectionneurs qui entretiennent sa mémoire et à travers l’admiration qu’elle continue de susciter pour son « intelligence application » du minimalisme. La 2CV AZU ne fut pas une voiture spectaculaire, mais elle fut, et reste, une voiture profondément juste, conçue avec une cohérence remarquable pour remplir une mission précise avec une efficacité inégalée. À ce titre, elle mérite amplement sa place au panthéon des automobiles ayant marqué l’histoire, non par le luxe ou la performance, mais par son utilité, son ingéniosité et son indéniable humanité.