La Morgan Plus 8 GTR, présentée en 2021 et produite à seulement neuf exemplaires, représente un chapitre extraordinairement singulier dans l’histoire automobile contemporaine. Ce modèle exceptionnel incarne la rencontre entre la tradition ancestrale de la marque britannique et les technologies les plus modernes, créant une automobile qui défie les catégories établies. Son histoire commence par une découverte fortuite : celle de huit châssis inachevés de la précédente génération de Plus 8, abandonnés dans l’usine de Malvern Link lors du passage à l’aluminium. Plutôt que de les ferrailler, Morgan décida de leur offrir une seconde vie en créant une voiture de course homologuée pour la route, s’inspirant directement des Morgan Plus 8 qui courraient dans les années 1970. La GTR n’est donc pas une simple évolution, mais une renaissance, une interprétation moderne et radicale de l’ADN compétition de Morgan. Dans un paysage automobile de plus en plus aseptisé, elle fait figure d’ovni, assumant pleinement son caractère brut et ses origines artisanales tout en intégrant des solutions techniques d’avant-garde. Cette analyse se propose de retracer l’histoire complète de cette automobile unique, en explorant les circonstances de sa création, ses caractéristiques techniques et esthétiques, son positionnement sur le marché et l’héritage philosophique qu’elle laisse.
Contexte historique et genèse du modèle
La genèse de la Morgan Plus 8 GTR est inextricablement liée à l’histoire de la manufacture de Malvern Link et à sa philosophie de production. Lorsque Morgan décida de remplacer l’ancienne Plus 8, basée sur un châssis acier, par une nouvelle génération sur structure aluminium, huit châssis inachevés furent laissés dans un coin de l’usine. Pendant des années, ils demeurèrent là, témoins silencieux d’une ère révolue. L’idée de les utiliser pour créer une édition spéciale germa progressivement, portée par Jonathan Wells, le responsable du design, et par l’équipe de direction qui voyait là une opportunité unique de créer un pont entre le passé glorieux de la marque et son avenir. Le projet prit une dimension particulière en 2020, alors que le monde automobile célébrait les 70 ans de la Triumph TR2, dont le moteur avait initialement équipé les premières Morgan. La décision fut prise de créer non pas une simple édition limitée, mais une véritable voiture de course homologuée pour la route, en hommage aux Morgan Plus 8 qui s’illustraient en compétition dans les années 1970, notamment aux 24 Heures du Mans. Le nom « GTR » fut choisi en référence à cette heritage compétition, évoquant à la fois la tradition des Grand Tourisme Racing et l’esprit des voitures de course des années 60 et 70. Le développement, bien que rapide, fut mené avec une attention maniaque aux détails, chaque solution technique étant évaluée à l’aune de l’héritage de la marque et des performances pures. La GTR n’était pas conçue pour être la Morgan la plus confortable ou la plus pratique, mais la plus radicale et la plus engagée, une machine qui parlerait directement au cœur des puristes.
Design et caractéristiques techniques
Sur le plan esthétique, la Morgan Plus 8 GTR opère une synthèse fascinante entre les codes traditionnels de la marque et les exigences de l’aérodynamique performance. La carrosserie, toujours en aluminium martelé à la main, adopte des formes plus tendues et agressives. Les ailes avant, élargies, abritent des jantes de 18 pouces spécifiques et intègrent des entrées d’air fonctionnelles pour le refroidissement des freins. L’arrière est redessiné avec un profil fuyant et un diffuseur intégré, tandis qu’un aileron fixe, discrètement intégré à la ligne, génère un appui aérodynamique significatif. Les phares ronds, signature de la marque, sont conservés, mais la calandre est légèrement modifiée et peinte en noir, lui conférant une allure plus menaçante. L’habitacle est un exercice de minimalisme sportif. Dépouillé de tout élément superflu, il accueille des sièges baquets en carbone, un volant sport dépourvu d’airbag et des ceintures de sécurité multibrins. Les compteurs, analogiques, sont les seuls éléments rappelant l’origine routière de la voiture. La finition, bien que soignée, est purement fonctionnelle, avec des matériaux laissés apparents et une absence délibérée de fioritures.
La technique de la Plus 8 GTR est le terrain d’une révolution discrète mais profonde. Pour la première fois sur une Morgan de série, le traditionnel moteur V8 BMW est remplacé par un bloc N62B48 de 4,8 litres, issu de la BMW X5, mais considérablement retravaillé. Débarrassé de tous ses accessoires, équipé d’un nouvel arbre à cames, d’une reprogrammation moteur et d’un système d’échappement sport libre, il développe 375 chevaux, soit près de 100 de plus que la Plus 8 standard. Ce V8 atmosphérique est accouplé à une boîte manuelle à six rapports ZF, transmettant la puissance aux roues arrière via un différentiel à glissement limité. Le châssis, ce fameux châssis acier inachevé, est entièrement reconditionné et renforcé par des éléments en carbone, gagnant ainsi 20 % en rigidité torsionnelle. La suspension, héritée de la précédente Plus 8, est retravaillée avec des triangles en aluminium forgé, des barres antiroulis réglables et des amortisseurs Öhlins TTX à réglage manuel, dignes d’une voiture de course. Les freins, d’un diamètre considérable, utilisent des étriers six-pistons à l’avant et des disques perforés. Avec un poids contenu à 1 075 kg, la GTR affiche un ratio poids/puissance exceptionnel de 2,87 kg/ch, lui permettant d’afficher des performances dignes des supercars modernes : un 0 à 100 km/h en environ 4,2 secondes et une vitesse de pointe dépassant les 270 km/h. Ces chiffres, associés à une agilité et des sensations brutes, font de la GTR une machine d’une efficacité redoutable.
Positionnement sur le marché et réception
Le positionnement de la Morgan Plus 8 GTR sur le marché des voitures de sport haut de gamme est aussi unique que la voiture elle-même. Avec un prix avoisinant les 200 000 livres sterling et une production limitée à seulement neuf exemplaires, elle ne visait pas le marché de masse, ni même celui des supercars traditionnelles. Son public cible était constitué de collectionneurs avertis, de puristes et d’amateurs éclairés en quête d’une expérience de conduite authentique et dénuée de compromis. Elle se situait dans un créneau quasi vide, entre les voitures de sport historiques et les hypercars modernes, offrant le caractère brut et mécanique des premières avec les performances des secondes. La réception par la presse spécialisée fut extrêmement enthousiaste, voire émue. Les journalistes, souvent subjugués par l’audace du projet, saluèrent l’alchimie unique entre la plateforme traditionnelle et les améliorations modernes. On loua la puissance et la sonorité du V8, la précision de la boîte manuelle, l’efficacité de la suspension et le sentiment de connexion totale avec la route. Les défauts – le bruit, l’inconfort, l’absence d’aides à la conduite – furent non pas ignorés, mais célébrés comme faisant partie intégrante du caractère de la voiture. Commercialement, les neuf exemplaires furent vendus presque instantanément, souvent à des clients déjà possesseurs de Morgan classiques et séduits par le concept de cette « ultimate Plus 8 ». Le succès de la GTR démontra qu’il existait un marché pour des voitures à l’ancienne, mais dotées de performances modernes, et qu’une manufacture artisanale pouvait, avec intelligence et passion, créer un produit capable de rivaliser avec les grands constructeurs sur le terrain des sensations pures.
Performances, confort et expérience de conduite
Au volant de la Morgan Plus 8 GTR, l’expérience de conduite est un voyage dans le temps, mais armé des performances du XXIe siècle. Dès les premiers mètres, le conducteur est saisi par le caractère brut et mécanique de la voiture. Le V8 BMW démarre avec un grondement grave qui promet des merveilles. L’embrayage est lourd, le levier de vitesses demande une main ferme, et la direction, non assistée, communique chaque détail de la chaussée. Il n’y a aucun filtre électronique, aucune aide pour rattraper une erreur ; la GTR exige une participation active et constante. Une fois lancée, la magie opère. Le moteur, atmosphérique, délivre sa puissance de manière linéaire et progressive, mais avec une énergie qui semble inépuisable. Le son, amplifié par l’absence d’insonorisation, est une symphonie de mécanique pure, du ronronnement à bas régime au hurlement sauvage dans les hauts régimes. Les accélérations sont violentes, le couple plaquant les occupants dans leurs sièges baquets. La boîte manuelle, précise et positive, invite à jouer avec les rapports pour maintenir le moteur en ébullition. Le vrai génie de la GTR réside dans son comportement. Le châssis, bien que de conception ancienne, se révèle d’une vivacité et d’une précision surprenantes. La suspension, ferme mais jamais brutale, maintient la voiture parfaitement plate dans les virages, les pneus adhérant avec une fidélité remarquable. Les freins, surdimensionnés, inspirent une confiance absolue. Conduire la GTR vite sur une route sinueuse est une expérience exaltante, un dialogue constant entre l’homme et la machine où chaque input est immédiatement traduit en action. Le confort, bien sûr, est sacrifié. La voiture est bruyante, vibrante, et transmet la moindre imperfection de la route. Mais c’est précisément cette rudesse, cette authenticité, qui fait son charme. Chaque trajet devient une aventure, une expérience sensorielle intense qui rappelle les fondamentaux du plaisir de conduite.
Héritage et postérité du modèle
L’héritage de la Morgan Plus 8 GTR est à la fois concret et philosophique. Concrètement, elle a démontré la viabilité et l’intérêt de réutiliser des éléments anciens pour créer des automobiles modernes et exclusives. Son succès a probablement ouvert la voie à d’autres projets similaires chez Morgan ou d’autres manufactures artisanales, prouvant que la durabilité et le « upcycling » pouvaient s’appliquer à l’automobile de prestige. Techniquement, les solutions développées pour la GTR, notamment le renforcement du châssis et l’adaptation du moteur BMW, enrichissent le savoir-faire de l’usine de Malvern Link. Culturellement, la GTR est devenue une icône instantanée, un symbole de résistance à l’uniformisation du paysage automobile. Elle rappelle que le plaisir de conduite ne réside pas dans les chiffres bruts ou les gadgets électroniques, mais dans la sensation de contrôle, le caractère et l’émotion pure. Sa rareté extrême – neuf exemplaires seulement – en fait d’ores et déjà un objet de collection mythique, dont la cote ne pourra que s’apprécier. L’héritage le plus profond de la GTR est peut-être philosophique : elle prouve qu’il est possible de regarder vers l’avenir sans renier le passé, que la tradition et l’innovation peuvent coexister harmonieusement pour créer des objets uniques et chargés d’âme. Elle est un manifeste pour une automobile plus authentique, plus engagée, et plus humaine.
Conclusion
En définitive, la Morgan Plus 8 GTR est bien plus qu’une simple voiture ; elle est une déclaration d’intention, une œuvre d’art mécanique et un témoignage poignant de la pérennité des valeurs artisanales. En sauvant de l’oubli des châssis abandonnés pour en faire des automobiles d’exception, Morgan a accompli un acte à la fois poétique et techniquement brillant. La GTR n’est pas la voiture la plus rapide, la plus confortable ou la plus sophistiquée de sa génération, mais elle est sans doute l’une des plus chargées d’émotion, de caractère et d’authenticité. Son étude nous rappelle que la valeur d’une automobile ne se mesure pas uniquement à sa fiche technique, mais aussi à l’histoire qu’elle raconte, aux sensations qu’elle procure et à la passion qu’elle dégage. La Morgan Plus 8 GTR restera comme un jalon important dans l’histoire de la marque et comme un symbole d’espoir pour tous ceux qui croient que l’automobile peut encore être une aventure, un art et une source de joie pure. Elle est la preuve que, même à l’ère de l’électrification et de la conduite autonome, il y a encore une place pour les machines qui parlent au cœur et à l’âme.