La Fiat Dino Coupé 2400, produite de 1969 à 1973, incarne un chapitre unique et fascinant de l’histoire automobile italienne, celui d’une collaboration aussi inattendue que fructueuse entre le plus grand constructeur transalpin et le légendaire écuriste Enzo Ferrari. Ce modèle exceptionnel naquit d’une nécessité réglementaire : la Fédération Internationale de l’Automobile exigeait pour l’homologation en Formule 2 que le moteur de compétition soit produit en au moins 500 exemplaires de série. Ne disposant pas des infrastructures pour une telle production, Ferrari se tourna vers Fiat, donnant ainsi naissance à une automobile hors normes. La Dino Coupé 2400 représente ainsi la maturité de ce projet, bénéficiant d’une augmentation de cylindrée et d’un design repensé. Elle n’était pas une simple Fiat, ni une Ferrari déguisée, mais une synthèse audacieuse des savoir-faire de deux mondes que tout opposait : la production de masse et l’excellence artisanale. Dotée du même V6 que la Ferrari Dino 246 GT, elle offrait des performances et un caractère dignes de Maranello, mais avec une praticité et une accessibilité typiquement Fiat. Cette analyse se propose de retracer l’histoire complète de cette automobile emblématique, en explorant les circonstances de sa genèse singulière, ses caractéristiques techniques et esthétiques, son positionnement sur le marché et l’héritage durable qu’elle a laissé.
Contexte historique et genèse du modèle
La genèse de la Fiat Dino Coupé 2400 plonge ses racines dans les exigences du sport automobile de la fin des années 1960. Enzo Ferrari, désireux de concourir en Formule 2, se heurta à une nouvelle réglementation de la FIA stipulant que le moteur utilisé en compétition devait être produit en au moins 500 exemplaires pour une voiture de tourisme. Dans l’impossibilité d’atteindre un tel volume de production avec ses moyens artisanaux, Ferrari se résolut à une alliance stratégique avec Fiat, un géant industriel capable de relever ce défi. Cet accord donna naissance en 1966 à la première Fiat Dino, déclinée en spider et en coupé, équipée d’un V6 de 2,0 litres. En 1969, le projet entra dans sa phase de maturité avec la Dino 2400. Cette évolution fut motivée par la nécessité de maintenir la compétitivité du moteur en compétition face à la concurrence, mais aussi par le souhait d’améliorer les qualités routières de la voiture pour la clientèle. Le moteur fut donc alésé pour atteindre 2,4 litres de cylindrée, et le design du coupé, initialement confié à Bertone, fut profondément revu par le même carrossier pour gagner en sophistication et en agressivité. Cette collaboration Fiat-Ferrari, bien que née d’une contrainte, déboucha sur la création d’une automobile à l’identité complexe, ni tout à fait Fiat, ni tout à fait Ferrari, mais arborant le meilleur des deux univers : la fiabilité et l’accessibilité de Turin, alliées à la passion et à la performance de Maranello.
Design et caractéristiques techniques
Sur le plan esthétique, la Fiat Dino Coupé 2400 présentait une silhouette résolument moderne et agressive, œuvre du maître carrossier Bertone. Son design marquait une nette évolution par rapport au coupé 2000 aux lignes plus douces et arrondies. La nouvelle carrosserie adoptait des formes plus anguleuses et tranchées, avec un nez plus bas et une face avant caractérisée par des feux rectangulaires et une large calandre. Le profil était souligné par un pli de caisse prononcé qui courait sur toute la longueur du véhicule, des passages de roue évasés et des vitres sans montant, créant un toit flottant qui lui conférait une allure dynamique et racée. L’arrière, fuyant, était orné de feux groupés sous une lunette. L’habitacle, typique des GT italiennes de l’époque, était à la fois sportif et confortable. Le volant trois branches, la planche de bord orientée vers le conducteur et les compteurs clairs créaient une ambiance de cockpit tournée vers la conduite. La finition, soignée, utilisait du cuir, du velours et de l’acajou pour les versions haut de gamme, affichant un niveau de luxe inédit pour une Fiat.
La technique de la Dino Coupé 2400 était son véritable argument d’exception. Son cœur était un V6 à 65° de 2 418 cm³, dérivé du bloc conçu par l’ingénieur Ferrari Vittorio Jano. Ce moteur, monté à l’avant, était dans une configuration peu commune pour l’époque : il était en alliage d’aluminium, avec double arbre à cames en tête et était alimenté par trois carburateurs double corps Weber 40 DCNF 14. Il développait une puissance de 180 chevaux à 6 600 tr/min et un couple de 216 Nm à 4 600 tr/min. La transmission était une boîte manuelle ZF à 5 rapports, qui envoyait la puissance aux roues arrière. Le châssis, de type monocoque, était dérivé de celui de la Fiat 124 Sport Coupé, mais considérablement renforcé pour encaisser la puissance et le couple du V6. La suspension avant indépendante à triangles superposés et ressorts hélicoïdaux et la suspension arrière à essieu rigide et ressorts à lames semi-elliptiques étaient des configurations classiques mais efficaces. Les freins, à disques sur les quatre roues, étaient assistés. Avec un poids d’environ 1 300 kg, la Dino 2400 affichait des performances de premier ordre : une accélération de 0 à 100 km/h en environ 7,5 secondes et une vitesse de pointe de 215 km/h, la plaçant au niveau des meilleures GT européennes de son temps.
Positionnement sur le marché et réception
Le positionnement de la Fiat Dino Coupé 2400 sur le marché des Grands Tourisme de la fin des années 1960 était aussi ambitieux qu’atypique. Elle se situait dans un créneau haut de gamme, au-dessus des Fiat traditionnelles, mais en dessous des Ferrari Dino, avec lesquelles elle partageait pourtant son moteur. Son prix, bien que supérieur à celui d’une Alfa Romeo GT ou d’une Lancia Fulvia Coupé, restait inférieur à celui de ses rivales purement sportives comme la Porsche 911. Elle visait une clientèle d’amateurs éclairés, séduits par la mécanique Ferrari mais rebutés par le coût d’entretien et le caractère parfois capricieux des voitures de Maranello. La Dino 2400 offrait ainsi un accès à la technologie Ferrari avec la fiabilité et le réseau de service de Fiat. La réception par la presse spécialisée fut excellente. Les essais routiers saluèrent unanimement les qualités du moteur V6, sa souplesse, son couple généreux et son son envoûtant. La tenue de route, bien que moins tranchante que celle d’une Porsche 911, était jugée sûre et agréable, et la boîte ZF à cinq rapports était considérée comme un modèle de précision et de robustesse. On loua également son confort relatif et son habitacle spacieux pour une voiture de ce type. Commercialement, la Dino 2400 ne fut pas un succès de masse, mais elle trouva son public. Produite à 3 801 exemplaires en version coupé (sur un total de 7 803 Dino toutes versions et cylindrées confondues), elle demeura une voiture rare et exclusive. Son image fut cependant un peu brouillée par son badge Fiat ; certains acheteurs potentiels lui préférèrent des marques au prestige plus établi dans le segment sportif, malgré ses qualités techniques indéniables.
Performances, confort et expérience de conduite
Au volant de la Fiat Dino Coupé 2400, l’expérience de conduite était un mélange unique de raffinement italien et de sensations sportives authentiques. Dès le démarrage, le conducteur était accueilli par le son grave et rauque du V6, un bruit qui, sans atteindre le hurlement des V12 Ferrari, possédait un caractère profond et mécanique très séduisant. La conduite elle-même était plus civile que celle d’une sportive pure. Le moteur, d’une souplesse remarquable, délivrait son couple dès les bas régimes, permettant des reprises vigoureuses sans avoir à brutaliser le levier de vitesses. Les performances étaient vives sans être brutales. Le 0 à 100 km/h en 7,5 secondes et la pointe à 215 km/h étaient tout à fait compétitifs, et la voiture se sentait à l’aise et stable à haute vitesse. La boîte ZF à cinq rapports, avec son passage précis et son rapport supérieur long, était un vrai bonheur pour la route comme pour les longues chevauchées autoroutières. Le point fort de la Dino 2400 était son équilibre général. Le châssis, bien que dérivé d’une plateforme de voiture plus modeste, s’avérait étonnamment compétent et équilibré. La direction, précise, offrait un bon retour d’information. La tenue de route était saine et prévisible, avec un léger sous-virage qui se muait en survirage progressif si on le cherchait. Le freinage, assisté, était puissant et rassurant. Le confort, bien que ferme, était acceptable pour une GT, et l’habitacle, spacieux pour deux personnes, était un lieu agréable. Conduire une Dino 2400, c’était profiter de l’essence d’une mécanique de compétition dans un cadre civilisé et utilisable au quotidien. C’était une voiture qui se vivait autant qu’elle se conduisait, récompensant son pilote par une polyvalence et un caractère qui manquaient parfois à ses concurrentes plus extrêmes.
Héritage et postérité du modèle
L’héritage de la Fiat Dino Coupé 2400 est considérable, bien que souvent méconnu. Elle fut la démonstration qu’une collaboration entre un grand constructeur et un petit artisan d’exception pouvait donner naissance à une automobile exceptionnelle, capable de rivaliser avec les meilleures. Techniquement, elle servit de banc d’essai et de vitrine pour des technologies qui allaient se répandre, comme le moteur V6, une architecture qui allait ensuite équiper de nombreuses Fiat, Lancia et Alfa Romeo. Le V6 Dino, en particulier, eut une longue carrière, équipant notamment la Lancia Stratos, une légende du rallye. Culturellement, la Dino 2400 est aujourd’hui reconnue comme un classique à part entière. Longtemps éclipsée par la Ferrari Dino 246 GT, plus glamour et plus rare, elle connaît un regain d’intérêt et une réévaluation de la part des collectionneurs. Sa cote sur le marché des voitures de collection est en hausse constante, reflétant la reconnaissance de ses qualités intrinsèques, de sa rareté et de son importance historique. Elle est appréciée pour son design intemporel de Bertone, son moteur fascinant et son caractère de GT accomplie, à la fois sportive et habitable. L’héritage le plus durable de la Dino 2400 est peut-être d’avoir ouvert la voie à d’autres collaborations du même type et d’avoir prouvé que la performance de haut niveau n’était pas l’apanage des seules marques spécialisées. Elle reste le témoin d’une époque audacieuse où les frontières entre les constructeurs étaient plus poreuses, et où la passion pouvait donner naissance à des projets aussi fous que magnifiques. La Fiat Dino Coupé 2400 n’est pas seulement une voiture ; elle est un morceau d’histoire automobile italienne, un pont entre deux mondes, et une icône dont le charme ne se dément pas.
Conclusion
En définitive, la Fiat Dino Coupé 2400 représente bien plus qu’une simple curiosité historique ou qu’une Ferrari au mauvais badge. Elle est l’incarnation d’un projet cohérent et réussi, né d’une contrainte réglementaire mais porté par une vision ambitieuse. En associant le savoir-faire industriel de Fiat à la passion de Ferrari, elle a donné naissance à une automobile d’une remarquable intégrité, capable de séduire à la fois le cœur et la raison. Si elle n’a pas rencontré le succès commercial qu’elle méritait, ses qualités de conduite, son design audacieux et sa mécanique d’exception en ont fait une légende discrète, aujourd’hui pleinement reconnue. La Dino 2400 n’était ni la plus rapide, ni la plus rare, ni la plus prestigieuse de sa génération, mais elle fut sans doute l’une des plus équilibrées et des plus attachantes. Elle démontra qu’une GT pouvait allier performances, caractère, confort et fiabilité sans compromis déchirant. Son étude nous rappelle que les plus belles réussites automobiles naissent parfois des alliances les plus inattendues, et que le génie italien sait, quand il le faut, dépasser les clivages pour créer de la beauté et de l’émotion. La Fiat Dino Coupé 2400 mérite amplement sa place au panthéon des Grands Tourisme des années 1970, non comme une alternative, mais comme une référence à part entière.