Ferrari 400i

La Ferrari 400i, produite de 1979 à 1985, incarne un chapitre singulier et souvent méconnu de l’histoire du constructeur de Maranello. Dans le paysage automobile des années 1980, cette voiture se présentait comme une proposition atypique : un grand tourisme de luxe à la fois puissant et raffiné, capable de transporter confortablement quatre personnes sur de longues distances. Elle succédait à la Ferrari 400 Automatic, elle-même évolution de la 365 GT4 2+2, poursuivant ainsi une lignée de berlines sportives inaugurée en 1967. La 400i se distinguait particulièrement par son adoption de l’injection électronique, une première pour une Ferrari de série, répondant ainsi aux nouvelles normes antipollution tout en modernisant la technique du constructeur. Pourtant, malgré ses qualités indéniables, elle demeure souvent dans l’ombre de modèles plus célèbres de la marque. Son design controversé signé Pininfarina, son positionnement sur un marché de niche et son caractère moins démonstratif que ses contemporaines en ont fait une Ferrari à part, appréciée par des connaisseurs recherchant l’élégance discrète et le confort. Cette analyse se propose de retracer l’histoire complète de ce grand tourisme méconnu, en explorant les circonstances de sa création, ses caractéristiques techniques innovantes, son positionnement sur le marché et l’héritage particulier qu’elle a laissé.

Contexte historique et genèse du modèle

La genèse de la Ferrari 400i s’inscrit dans une période de transition pour l’industrie automobile en général, et pour Ferrari en particulier. Au cours des années 1970, les constructeurs durent faire face à des défis sans précédent : crises pétrolières successives, durcissement des normes antipollution, notamment aux États-Unis, et évolution des attentes de la clientèle. Dans ce contexte, Ferrari, sous la direction d’Enzo Ferrari lui-même, poursuivit le développement de sa lignée de grands tourisme 2+2, initiée avec la 365 GT4 2+2 en 1967. Cette dernière fut remplacée en 1976 par la Ferrari 400 Automatic, qui introduisait deux innovations majeures : une transmission automatique, une première pour Ferrari, et un moteur de 4,8 litres. La 400i, présentée en 1979 au Salon de l’automobile de Francfort, représentait l’aboutissement de cette évolution. Son principal apport technique était l’adoption d’un système d’injection électronique Bosch K-Jetronic, remplaçant les six carburateurs Weber de la 400 Automatic. Cette évolution n’était pas un simple raffinement ; elle était une nécessité pour répondre aux normes d’émissions toujours plus strictes, tout en maintenant des performances honorables. Le « i » de sa dénomination signifiait d’ailleurs « injection ». Le choix de proposer une transmission automatique, d’abord exclusive puis jointe par une manuelle à cinq rapports, visait à élargir le cercle des acheteurs potentiels, notamment sur le marché américain et auprès d’une clientèle fortunée mais peu encline à manipuler un levier de vitesses. La 400i fut ainsi conçue comme une voiture de grand tourisme au sens le plus littéral du terme : rapide, confortable, luxueuse et capable de transporter quatre adultes dans des conditions bien supérieures à la plupart des autres modèles de la marque.

Design et caractéristiques techniques

Sur le plan esthétique, la Ferrari 400i arborait un design signé Pininfarina qui, s’il était la continuation directe de celui de la 365 GT4 2+2, ne faisait pas l’unanimité. Ses lignes, caractérisées par un profil allongé et un hayon fastback, étaient à la fois élégantes et controversées. La face avant, avec ses quatre phares carrés sous une vitre transparente, lui conférait un air sérieux et moderne pour l’époque, tandis que l’arrière, sobre, était orné de feux regroupés sous une bande rouge. La carrosserie, d’une longueur de 4,81 mètres, imposait le respect par son envergure et sa présence. L’accès à l’habitacle se faisait par des portes ouvrantes de manière classique, contrairement aux célèbres portes papillon des Ferrari plus sportives. L’intérieur était un espace dédié au confort et au luxe. Conçu pour accueillir quatre personnes, il offrait aux passagers avant des sièges en cuir confortables et aux passagers arrière un espace réellement utilisable, ce qui était rare chez Ferrari. La sellerie en cuir de haute qualité, les incrustations de bois précieux au tableau de bord et la console centrale, ainsi que l’isolation phonique soignée, participaient à une ambiance feutrée et raffinée, plus proche d’une berline de luxe que d’une sportive pure.

La technique de la 400i était à la fois conventionnelle et innovante pour Ferrari. Son cœur était un V12 à 60° de 4,8 litres (4823 cm³), architecture emblématique de la marque. C’était le plus gros moteur jamais installé dans une Ferrari de série à l’époque. La grande nouveauté résidait dans son système d’alimentation : l’injection électronique Bosch K-Jetronic, qui remplaçait les carburateurs multiples. Cette technologie permit de porter la puissance à 310 chevaux à 6 500 tr/min, avec un couple de 392 Nm à 4 200 tr/min. La transmission offrait le choix, sur la fin de carrière, entre une boîte manuelle à cinq rapports et une automatique General Motors à trois rapports, la même que celle utilisée sur la 400 Automatic. La 400i reposait sur un châssis classique, avec un empattement de 2,70 mètres, une suspension avant indépendante et un pont arrière rigide. Les freins étaient à disques ventilés sur les quatre roues, et la direction assistée de série contribuait à la facilité de conduite. Avec un poids avoisinant les 1 800 kg, la 400i n’était pas une voiture légère, mais son moteur V12 lui permettait d’afficher des performances très honorables pour un grand tourisme de cette taille et de ce luxe.

Positionnement sur le marché et réception

Le positionnement de la Ferrari 400i sur le marché des voitures de grand tourisme de luxe des années 1980 était aussi clair qu’atypique. Elle ne concurrençait pas directement les sportives pures de Maranello comme la 308 ou la Testarossa, mais visait plutôt une clientèle plus âgée, plus discrète et plus exigeante en matière de confort et de polyvalence. Son public cible était constitué de professionnels aisés, d’hommes d’affaires ou de grands amateurs de la marque désireux de posséder une Ferrari utilisable au quotidien et capable d’embarquer famille ou collaborateurs. Son prix, très élevé, la plaçait dans la catégorie des voitures d’exception, mais elle devait aussi faire face à la concurrence d’autres grands tourisme prestigieux, comme la Maserati Kyalami ou certaines Mercedes-Benz et Jaguar. La réception par la presse spécialisée fut partagée. D’un côté, les journalistes reconnaissaient ses qualités de grand routier, son confort, son silence de fonctionnement et la souplesse de son moteur V12. La possibilité de parcourir de longues distances à grande vitesse dans un cocon de luxe et de raffinement était unanimement saluée. En revanche, certains critiques lui reprochaient son manque de caractère sportif, son poids et une certaine mollesse dans les virages comparée aux Ferrari biplaces. Son design, jugé trop sage et peu charismatique pour une Ferrari, ne suscitait pas l’enthousiasme. Commercialement, la 400i ne fut pas un succès retentissant. Produite à seulement 1 311 exemplaires toutes versions confondues sur l’ensemble de sa carrière, elle resta un modèle confidentiel, bien loin des chiffres de la 308. Sa clientèle était restreinte, mais souvent très fidèle, appréciant justement cette discrétion et cette polyvalence uniques dans la gamme Ferrari de l’époque.

Performances, confort et expérience de conduite

Au volant de la Ferrari 400i, l’expérience de conduite était radicalement différente de celle offerte par toute autre Ferrari de l’époque. Loin des sensations brutes et du hurlement des moteurs à haut régime des modèles sportifs, la 400i proposait une conduite paisible, souple et raffinée. Le moteur V12, grâce à l’injection électronique, démarrait facilement et tournait avec une régularité de métronome, même à bas régime. Sa puissance était délivrée de manière progressive et linéaire, sans à-coups, offrant des reprises souples mais constantes. Les performances, sans être explosives, étaient plus que suffisantes : la voiture pouvait atteindre les 245 km/h et passer de 0 à 100 km/h en environ 7 secondes, des chiffres très respectables pour un véhicule de près de deux tonnes. Le point fort de la 400i était sans conteste son confort de roulement. La suspension, bien que ferme, était tune pour absorber les imperfections de la chaussée avec une grande décontraction. L’habitacle, spacieux et bien insonorisé, offrait une quiétude remarquable, même à vitesse autoroutière élevée. Les sièges, vastes et confortables, assuraient un bon maintien sur les longues distances. La version à transmission automatique, souvent décriée par les puristes, renforçait encore cette impression de facilité et de confort, faisant de la 400i une voiture que l’on pouvait utiliser en ville ou dans les embouteillages sans fatigue. En revanche, dans les routes sinueuses, son poids et ses dimensions imposantes se faisaient sentir. Elle manquait de la vivacité et de la précision des Ferrari biplaces, affichant plutôt une tenue de route sûre et stable, mais sans le mordant d’une sportive. Conduire une 400i, c’était donc profiter du prestige et de la mécanique Ferrari, mais dans un esprit de grand tourisme classique, où le voyage et le raffinement primaient sur la performance pure et le frisson de la conduite sportive.

Héritage et postérité du modèle

L’héritage de la Ferrari 400i est aujourd’hui en pleine réévaluation. Longtemps considérée comme la « Ferrari oubliée » ou même la « moins Ferrari des Ferrari », elle connaît un regain d’intérêt certain auprès des collectionneurs et des amateurs éclairés. Sa rareté, avec seulement 1 311 exemplaires produits, en fait un modèle de plus en plus recherché. Les amateurs reconnaissent désormais ses qualités intrinsèques : son statut de première Ferrari de série à injection, son confort exceptionnel, son caractère unique de grand tourisme luxueux et utilisable. Techniquement, elle a ouvert la voie à l’adoption généralisée de l’injection électronique chez Ferrari, une technologie devenue incontournable. Elle a également prouvé que la marque pouvait proposer un véhicule radicalement différent de son image de sportive pure, élargissant ainsi son audience sans pour autant renier ses valeurs de performance et d’excellence technique. La lignée des Ferrari 2+2, dont la 400i fut un maillon essentiel, se poursuivit avec la 412 en 1985, puis avec les 456, 612 Scaglietti et les récentes GTC4Lusso, perpétuant ainsi l’idée d’une Ferrari familiale et confortable. Sur le marché des collectionneurs, la cote de la 400i, bien qu’en hausse, reste encore très abordable comparée à celle des modèles plus emblématiques comme la Testarossa ou la 308. Cette accessibilité relative en fait une porte d’entrée intéressante vers la possession d’une Ferrari à moteur V12. En définitive, la 400i mérite d’être réhabilitée. Elle n’était pas une Ferrari ratée, mais une Ferrari différente, répondant à une mission précise avec brio et élégance. Son étude nous rappelle que la richesse de la marque de Maranello réside aussi dans sa diversité et sa capacité à surprendre, même en dehors des sentiers battus de la sportive extrême.

Conclusion

En définitive, la Ferrari 400i représente un visage méconnu mais essentiel de la production de Maranello. Elle incarne la volonté d’Enzo Ferrari de diversifier son offre et de répondre aux attentes d’une clientèle exigeante mais discrète, pour qui la performance devait s’allier au confort, au luxe et à la polyvalence. Si son design n’a pas marqué les esprits comme celui d’une Testarossa et si ses performances n’ont pas la brutalité d’une supercar, ses qualités de grand tourisme raffiné et techniquement abouti sont indéniables. En adoptant l’injection électronique, elle a fait entrer Ferrari dans une nouvelle ère technologique, plus propre et plus moderne. En proposant un habitacle spacieux et confortable, elle a démontré que l’on pouvait concilier l’ADN sportif de la marque avec les exigences du voyage de luxe. Aujourd’hui, la 400i sort peu à peu de l’ombre. Les collectionneurs et les passionnés redécouvrent son charme unique, son caractère serein et sa place particulière dans l’histoire de Ferrari. Elle n’est pas la Ferrari la plus spectaculaire, la plus rapide ou la plus désirable, mais elle est sans doute l’une des plus civilisées et des plus aptes à jouer les voitures de tous les jours, un paradoxe qui fait tout son prix. Son héritage réside dans cette démonstration qu’une Ferrari peut aussi être une compagne discrète, élégante et infatigable pour les longs voyages, sans rien céder à la noblesse de sa mécanique et au prestige de son blason.