Citroën BX série 1

La Citroën BX Série 1, produite de 1982 à 1986, incarne une période de transition et de renaissance audacieuse pour la marque aux chevrons. Alors que Citroën avait été rachetée par Peugeot en 1976, la BX fut l’un des premiers modèles à naître de cette fusion, chargé d’une mission cruciale : succéder à l’emblématique GS/GSA et reconquérir le cœur du marché des familiales. Son lancement, orchestré sous la tour Eiffel en octobre 1982, ne passa pas inaperçu. La BX se présentait comme un paradoxe sur roues, un véhicule résolument tourné vers l’avenir par sa conception et ses matériaux, mais qui affichait un style anguleux et tranchant, signature du maître Bertone, Marcello Gandini, en plein âge d’or du design « en origami ». Cette première série, souvent considérée par les puristes comme la plus pure et la plus radicale, se distinguait par son tableau de bord avant-gardiste et ses lignes acérées. Elle posa les bases d’un succès commercial qui allait s’étendre sur plus d’une décennie, avec plus de 2,3 millions d’exemplaires produits. Cette analyse se propose de retracer l’histoire, la conception, le positionnement et l’héritage de cette automobile iconique, qui sut concilier l’audace esthétique, l’innovation technique et les impératifs industriels de son temps.

Contexte historique et genèse du modèle

La genèse de la Citroën BX Série 1 s’inscrit dans un contexte industriel complexe et déterminant pour l’avenir de la marque. Après le rachat par Peugeot en 1976, Citroën devait impérativement se repositionner et rationaliser sa gamme. L’urgence était de remplacer la GS/GSA, une voiture techniquement brillante mais au coût d’entretien élevé, par un modèle plus accessible et plus facilement industrialisable. Les études pour ce successeur commencèrent à la fin des années 1970, avec pour impératif de puiser dans la banque d’organes du groupe PSA tout en conservant l’identité technique Citroën, notamment la suspension hydropneumatique. Pour le style, deux projets s’affrontèrent : l’un émanant du bureau de style interne de Citroën, et l’autre du célèbre carrossier italien Bertone. C’est finalement la proposition de Bertone, oeuvre de Marcello Gandini, qui fut retenue, marquant le début d’une longue collaboration. Le design de la BX était en réalité un projet recyclé, initialement conçu pour la Reliant FW11 en 1977, puis proposé sans succès à Volvo sous le nom de concept Tundra en 1979. Cet héritage explique en partie ses lignes si tranchantes, qui contrastaient violemment avec la fluidité des CX et GS alors en production. La mission confiée à la BX était claire : élargir l’attrait de la marque au-delà des traditionnels aficionados en proposant une voiture à la fois économique, spacieuse, confortable et fiable. Son lancement fut soutenu par une campagne publicitaire mémorable, utilisant le slogan « J’aime, j’aime, j’aime » en France, et « Loves Driving, Hates Garages » au Royaume-Uni, pour souligner son faible coût d’entretien comparé à ses prédécesseures. La BX Série 1 devait ainsi incarner le nouveau visage de Citroën : toujours innovante, mais désormais plus raisonnable et tournée vers le volume .

Design et caractéristiques techniques

Sur le plan esthétique, la Citroën BX Série 1 marquait une rupture radicale avec le passé de la marque. Son design anguleux, « parfait résumé des années 80 » selon certains observateurs, était caractérisé par des vitres plates, des surfaces triangulaires et un profil acéré . Malgré ces lignes apparemment peu aérodynamiques, son Cx de 0,33 à 0,335 était tout à fait respectable pour l’époque . La face avant affichait de petits clignotants et une calandre discrète, tandis que l’utilisation massive de plastique pour les panneaux de carrosserie, notamment le capot et le hayon, était une innovation majeure contribuant à l’allègement de l’ensemble, la voiture affichant un poids à vide d’environ 870 kg . L’intérieur était tout aussi révolutionnaire et devint l’une de ses signatures. Le tableau de bord, qualifié de « trop géométrique », était équipé d’un compteur de vitesse à l’affichage digital évoquant une « balance de salle de bain » et de deux « satellites » de part et d’autre du célèbre volant monotrace, qui regroupaient la majorité des commandes. Cette disposition, bien que très originale, fut parfois jugée peu intuitive et source de manipulations accidentelles pour les conducteurs de grande taille .

Techniquement, la BX était une synthèse ingénieuse de l’héritage Citroën et des composants PSA. La suspension hydropneumatique, garantie d’un confort de roulement exceptionnel et d’une garde au sol variable, était de rigueur. La motorisation reflétait la stratégie de gamme large. Au lancement, les modèles de base (BX 14) étaient propulsés par le moteur PSA X de 1,4 litre (1 360 cm³) issu de la Peugeot 104 et de la Renault 14, développant 62 ou 72 chevaux . Les versions supérieures (BX 16) inauguraient la nouvelle famille de moteurs PSA XU, un 1,6 litre (1 580 cm³) de 90 chevaux, produit dans une usine neuve à Trémery . Cette architecture transversale et traction avant était une première pour une Citroën à propulsion hydraulique. En 1983, la gamme s’enrichit d’un diesel, le désormais légendaire XUD de 1,9 litre (1 905 cm³) et 65 chevaux, qui contribua fortement au succès commercial du modèle . En 1984, la BX fut l’une des premières voitures de sa catégorie à proposer en option une direction assistée, adressant un point faible des premiers modèles dont la direction non assistée était réputée lourde . Enfin, la BX partagea sa plateforme avec la future Peugeot 405, à l’exception de la suspension arrière, spécifiquement Citroën .

Positionnement sur le marché et réception

Le positionnement de la Citroën BX Série 1 sur le marché automobile du début des années 1980 était ambitieux et dual. Elle devait à la fois satisfaire la clientèle traditionnelle de la marque, attachée au confort hydropneumatique et à l’innovation, et séduire une nouvelle clientèle plus large, jusqu’alors réticente face au caractère trop singulier des Citroën. Son prix d’entrée de gamme, avoisinant les 49 000 Francs pour la version de base, en faisait une proposition très concurrentielle . La presse spécialisée, bien que stupéfaite par le virage stylistique, adhéra presque instantanément au modèle, saluant son approche moderne, son habitabilité et son comportement routier . Cependant, l’accueil du grand public fut plus mitigé lors des premières années. L’extérieur trop anguleux pour certains et l’intérieur jugé déroutant, avec ses satellites et son compteur digital, nécessitaient un temps d’adaptation . L’absence de série de direction assisté sur les premiers modèles fut également un frein pour une clientèle recherchant avant tout la facilité de conduite.

Au sein de la gamme Citroën, la BX Série 1 occupait une place centrale, comblant l’écart entre les petites Visa et LNA et la prestigieuse CX. Elle se positionnait en rivale directe des Renault 18 et Ford Sierra, mais avec des arguments techniques uniques. La version Break, présentée en 1984 et carrossée par Heuliez, vint compléter l’offre et renforcer son attrait pratique . C’est également durant la période de la Série 1 que les premières versions sportives firent leur apparition, avec la BX Sport en 1985, dotée d’un moteur 1.9 de 126 chevaux et d’un kit carrosserie spécifique, et la BX GT, plus accessible . Malgré des débuts difficiles sur certains marchés, comme au Royaume-Uni où elle fut d’abord perçue comme trop étrange, la BX Série 1 prépara le terrain pour le succès à venir. Elle démontra que Citroën pouvait produire une voiture de volume sans renier complètement son âme, posant les bases qui seraient perfectionnées avec le restylage de 1986 .

Performances, confort et expérience de conduite

Au volant de la Citroën BX Série 1, l’expérience de conduite était un mélange unique de sensations, à mi-chemin entre la rationalité et l’innovation. Les performances, bien que modestes sur les versions d’entrée de gamme, étaient parfaitement en phase avec les préoccupations d’économie de carburant de l’époque. La BX 14 E mettait ainsi environ 18 secondes pour atteindre les 100 km/h, tandis que la BX 16 TRS, grâce à ses 90 chevaux, réduisait cette durée à environ 11,5 secondes, offrant des reprises et une vitesse de croisière tout à fait honorables . Le point fort de la BX, hérité de la tradition Citroën, résidait incontestablement dans son confort de roulement. La suspension hydropneumatique lui permettait d’effacer les imperfections de la chaussée avec une efficacité remarquable, offrant une « conduite sur un nuage » qui la distinguait de toutes ses concurrentes à suspensions métalliques. Contrairement à ses aînées, les ingénieurs avaient toutefois retenu une tune plus ferme pour la BX, afin de limiter les roulis en virage et de répondre aux critiques concernant le comportement routier parfois « effrayant » des modèles précédents. Le résultat était une voiture stable, sûre et étonnamment agile dans les routes sinueuses, capable de « tenir en respect des voitures bien plus puissantes » .

L’habitacle, spacieux et lumineux, offrait une bonne habitabilité pour cinq passagers et une visibilité dégagée. Le confort des sièges était généralement apprécié, bien que les versions bas de gamme fussent équipées de matériaux simples. La grande surface vitale contribuait à une sensation d’espace et de légèreté. La hauteur variable, commandée par le levier de la suspension, était un atout pratique indéniable, facilitant le chargement ou l’accès aux chemins accidentés. En revanche, l’ergonomie du poste de conduite, avec ses commandes regroupées dans les satellites, demandait une période d’apprivoisement. Des détails comme l’absence de réinitialisation automatique des clignotants étaient perçus comme des anachronismes . Le freinage, assisté par le système hydraulique à haute pression, était d’une efficacité redoutable, instillant un sentiment de sécurité supplémentaire. En résumé, conduire une BX Série 1 était une expérience engageante qui récompensait le conducteur d’un confort inégalé et d’un caractère unique, à condition d’accepter ses spécificités ergonomiques.

Héritage et postérité du modèle

L’héritage de la Citroën BX Série 1 est considérable, tant sur le plan commercial que dans l’imaginaire automobile. En lançant ce modèle audacieux, Citroën a réussi son pari : la BX a bel et bien « sauvé la marque » en lui offrant un succès commercial massif et en restaurant son image auprès du grand public . Avec plus de 2,3 millions d’unités produites sur l’ensemble de sa carrière, elle figure dans le top 5 des Citroën les plus vendues de l’histoire . La Série 1, bien que produite seulement quatre ans, a joué un rôle fondateur en établissant l’identité visuelle et technique du modèle. Son design de Gandini, d’abord controversé, est aujourd’hui célébré comme un chef-d’œuvre du style « fold » (pli) et une icône du design des années 1980, au point que les exemplaires pré-facelift sont souvent considérés par les collectionneurs comme les plus purs et les plus désirables . La Série 1 a également montré la voie en matière d’utilisation de matériaux plastiques pour la carrosserie, une solution à la fois légère et anticorrosion qui préfigurait les pratiques industrielles futures.

La postérité de la BX Série 1 fut également marquée par son évolution. En 1986, Citroën présenta la BX Phase 2, qui répondait aux principales critiques. Le tableau de bord aux satellites fut remplacé par un ensemble plus conventionnel avec des compteurs analogiques et des leviers de commodo classiques, tandis que l’extérieur recevait des boucliers plus arrondis et des clignotants avant plus larges . Ce restylage, s’il lui ôtait une part de son audace originelle, contribua à élargir son audience et à asseoir son succès commercial, notamment au Royaume-Uni où elle devint la voiture diesel la plus vendue . Aujourd’hui, la BX Série 1 est une voiture qui suscite un intérêt croissant dans le milieu des collectionneurs. Sa rareté relative, son design unique et son importance historique en font un modèle apprécié. Elle représente le dernier souffle de l’esprit Citroën « d’avant », celui des solutions techniques et esthétiques radicales, avant une normalisation plus poussée sous l’ère PSA. À ce titre, elle est bien plus qu’une simple automobile ; elle est le témoin d’une époque charnière et l’incarnation d’un certain courage industriel.

Conclusion

En définitive, la Citroën BX Série 1 représente bien plus qu’une simple étape dans l’histoire du constructeur ; elle est la matérialisation d’un défi relevé avec brio. Dans un contexte de fusion et de rationalisation, elle a su incarner une synthèse habile entre l’audace et la raison, entre l’identité Citroën et les impératifs de Peugeot. Son style anguleux, œuvre de Marcello Gandini, a marqué les esprits et défini une esthétique propre aux années 1980. Son innovation technique, notamment l’usage pionnier des plastiques et la fidélité à la suspension hydropneumatique, lui a conféré un caractère unique dans son segment. Si son ergonomie déroutante et son esthétique radicale ont pu freiner son adoption immédiate, elles ont aussi forgé sa légende, faisant d’elle une voiture à la personnalité forte, aimée ou détestée, mais jamais ignorée. La BX Série 1 a ouvert la voie au succès commercial de ses successeurs tout en restant, aux yeux des puristes, la version la plus authentique et la plus courageuse. Elle demeure un jalon essentiel dans l’histoire de Citroën, symbolisant sa capacité à se réinventer sans se renier, et continue de fasciner par son mélange inédit de modernité, de confort et d’idiosyncrasie. Son étude nous rappelle que les voitures qui marquent leur époque sont souvent celles qui, comme la BX, osent bousculer les codes établis.