Citroën BX 4TC

La Citroën BX 4TC incarne une page aussi fascinante que douloureuse de l’histoire de la compétition automobile française. Apparue à l’apogée de la spectaculaire et dangereuse époque du Groupe B dans le Championnat du Monde des Rallyes, cette voiture représente la tentative audacieuse, mais contrariée, de Citroën de rivaliser avec les plus grands constructeurs sur le terrain du sport automobile. Alors que la marque aux chevrons était déjà reconnue pour ses innovations et ses succès en rallye avec la DS, la BX 4TC devait être son arme absolue. Pourtant, son développement tardif, des contraintes techniques sévères et un contexte sportif qui bascula tragiquement conduisirent à un échec retentissant. Cette voiture, souvent surnommée avec une certaine tendresse « Cyrano de Bergerac » en raison de son long capot, fut pratiquement désavouée par son propre constructeur, qui tenta d’en effacer toute trace. Son histoire est celle d’un rêve brisé, mais aussi celle d’une automobile devenue, avec le temps, un objet de collection extrêmement rare et précieux, symbolisant l’ambition et les excès d’une ère révolue du sport automobile. Cette analyse se propose de retracer la genèse, le développement, la carrière sportive et l’héritage de ce véhicule hors normes, en explorant les raisons de son échec et les causes de sa réhabilitation tardive auprès des passionnés.

Contexte historique et genèse du modèle

Au début des années 1980, le paysage du rallye mondial est dominé par les monstres sacrés du Groupe B. Des voitures comme l’Audi Quattro, la Lancia 037 et bientôt la Peugeot 205 Turbo 16 redéfinissent les standards de la performance, captivant des millions de spectateurs à travers le monde. Au sein de Citroën, cette frénésie ne laisse pas indifférent. Poussée par sa division compétition, Citroën Competition dirigée par l’ancien rallyeur Guy Verrier, la marque prend la décision, assez tardive, autour de 1983, de développer sa propre machine de guerre. Plutôt que de partir d’une feuille blanche, un choix stratégique et marketing est opéré : la future bête de course sera une extrapolation de la berline familiale à succès, la BX, lancée en 1982 sous le signe de la modernité avec son design signé Marcello Gandini et sa suspension hydropneumatique. L’objectif est clair : capitaliser sur l’image populaire du modèle pour renforcer le prestige de la marque en compétition.

Cependant, ce choix s’avère être un compromis technique majeur dès le départ. Contrairement à ses rivales, qui sont conçues avec un moteur en position centrale arrière pour un équilibre optimal, la BX 4TC doit composer avec l’architecture de traction avant de la BX de série. Les ingénieurs, en collaboration avec le carrossier Heuliez, optent alors pour une solution inédite : placer le moteur longitudinalement à l’avant, en porte-à-faux devant l’essieu avant. Cette configuration, similaire à celle de l’Audi Quattro, n’est pas idéale pour l’équilibre dynamique. Le moteur retenu n’est pas une pure création Citroën, mais une version spécifique du bloc Simca-Chrysler, un quatre-cylindres de 2,1 litres suralimenté par un turbocompresseur Garrett. Pour obtenir l’homologation en Groupe B, le règlement de la FIA est strict : chaque manufacturier doit produire et vendre un minimum de 200 exemplaires d’une version « client » de sa voiture de compétition. C’est ainsi que naît la Citroën BX 4TC « Série 200 », une série limitée indispensable pour pouvoir engager officiellement la version « Evolution » en rallye. Le projet, initialement prévu pour la saison 1985, accumule du retard et n’est homologué qu’en octobre 1985, alors que la fin du Groupe B se profile déjà.

Design et caractéristiques techniques

Sur le plan esthétique, la transformation d’une berline sage en monstre de rallye est radicale. La Citroën BX 4TC se distingue par sa silhouette profondément modifiée, qui lui vaut son surnom de « Cyrano ». Le capot est considérablement allongé pour accueillir le moteur positionné longitudinalement et la transmission intégrale, créant un porte-à-faux avant très prononcé. Les ailes sont élargies, conférant à la voiture une carrure musclée et agressive, avec des passages de roue accueillant des jantes spécifiques, souvent issues de la CX GTI Turbo. À l’avant, la calandre standard est remplacée par quatre projecteurs additionnels carrés, encadrant une prise d’air massive pour le refroidissement. À l’arrière, un aileron de taille importante est fixé sur le hayon, complétant une étude aérodynamique visant à améliorer l’appui. La structure repose sur une caisse de BX cinq portes standard, prélevée sur la chaîne de production de Rennes et expédiée chez Heuliez pour une transformation complète.

La technique est le domaine où les compromis sont les plus visibles. Le moteur est le désormais célèbre quatre-cylindres en ligne N9TE, d’une cylindrée de 2 141 cm³. Dans la version routière, il développe 200 chevaux à 5 250 tr/min, pour un couple de 300 Nm. La version compétition, la BX 4TC Evolution, bénéficie d’un turbocompresseur KKK et voit sa puissance monter à 380 chevaux, avec un couple de 460 Nm. La transmission est assurée par une boîte manuelle cinq rapports, un lourd et robuste élément provenant de la Citroën SM, choisi pour sa capacité à encaisser le couple important. La transmission intégrale, sans différentiel central, est une source supplémentaire de sous-virage. Le châssis, quant à lui, conserve la suspension hydropneumatique Citroën, un choix audacieux qui devait démontrer la supériorité de ce système, même sur les terrains les plus accidentés. Cependant, il n’était pas conçu à l’origine pour les terribles sollicitations du rallye et devint un point faible chronique. Avec un poids annoncé de 1 150 kg pour la version course et des performances de 0 à 100 km/h en environ 7,5 secondes pour la routière, la BX 4TC se présentait comme une concurrente crédible sur le papier, mais ses défauts conceptuels – poids, équilibre précaire et manque de développement – la handicaperont lourdement face à ses rivales.

Carrière sportive et raisons d’un échec

La carrière sportive de la Citroën BX 4TC fut aussi brève que douloureuse. Son baptême du feu a lieu au rallye Monte-Carlo en 1986, où deux voitures sont engagées pour les équipages Jean-Claude Andruet et Philippe Wambergue. Le résultat est un désastre : la première voiture abandonne dès la spéciale inaugurale sur une défaillance de suspension, et la seconde termine sa course dans un fossé quelques spéciales plus tard. L’unique lueur d’espoir viendra du rallye de Suède, où Jean-Claude Andruet parvient à ramener sa BX 4TC à une honorable sixième place, qui restera le meilleur résultat de la voiture en Championnat du Monde. Cet exploit isolé ne pouvait masquer les problèmes fondamentaux de la voiture. Le rallye de l’Acropole, en Grèce, sonnera le glas de l’aventure. Sur les pistes rocailleuses et exigeantes, les trois BX 4TC engagées abandonnent toutes, encore une fois victimes de la fragilité de leur suspension.

Les raisons de cet échec cuisant sont multiples et s’additionnent. Tout d’abord, la BX 4TC était fondamentalement lourde et sous-motorisée comparée à ses concurrentes directes comme la Peugeot 205 T16 ou la Lancia Delta S4. Son placement du moteur, loin à l’avant, générait un important sous-virage, un défaut rédhibitoire en rallye. La suspension hydropneumatique, bien que confortable, n’était tout simplement pas assez robuste pour les chocs et les contraintes extrêmes des spéciales. De plus, la voiture arriva trop tard sur la scène internationale, manquant de développement et de mise au point. Enfin, le contexte tragique de la saison 1986, marquée par les accidents mortels du Portugal et de Corse, conduisit la FIA à bannir le Groupe B à la fin de l’année. Cet arrêt brutal coupa court à tout espoir d’amélioration continue pour la BX 4TC, qui n’aura participé qu’à trois manches du championnat avant que Citroën ne décide de se retirer et de mettre un terme au projet.

La version routière et sa destinée particulière

Pour respecter le règlement du Groupe B, Citroën dut produire 200 exemplaires de la version routière, la « Série 200 ». Seulement 86 de ces voitures, construites par Heuliez, trouvèrent preneurs, au prix prohibitif de 248 500 francs. L’intérieur de ces rares modèles partageait de nombreux éléments avec la BX Sport, avec des sièges confortables et une banquette arrière, permettant de transporter quatre personnes dans un certain luxe sportif. Le tableau de bord était agrémenté d’instruments supplémentaires indiquant la température d’huile et d’eau. Extérieurement, elle reprenait la carrosserie élargie et l’aileron de la version course, mais avec une voie moins large. Malgré son exclusivité et ses performances honorables, la routière pâtit de l’image désastreuse de la version compétition. Déçue par cet échec, Citroën tenta d’effacer cet épisode embarrassant de son histoire. La marque racheta une grande partie des exemplaires invendus et les fit détruire sous contrôle d’huissier. On raconte même qu’elle tenta de racheter les voitures déjà vendues à leurs propriétaires pour les faire disparaître définitivement. Cette tentative d’auto-dafé contribua à la rareté extrême de la BX 4TC aujourd’hui, avec seulement une quarantaine d’exemplaires survivants recensés sur les 86 initialement vendus.

Héritage et postérité

L’héritage de la Citroën BX 4TC est paradoxal. Considérée comme un échec technique et sportif, elle n’en reste pas moins une pièce maîtresse de l’histoire de Citroën et du Groupe B. Son statut d’underdog, sa conception atypique et son histoire mouvementée en ont fait, avec le temps, un objet de collection extrêmement prisé. Alors que Citroën préférait l’oublier, les passionnés ont réhabilité la « Cyrano ». Sa rareté, son statut de symbole d’une époque révolue et son âme purement Citroën, avec sa suspension hydropneumatique et son design si particulier, ont pris le pas sur ses défauts initiaux. Aujourd’hui, les exemplaires survivants s’échangent à des prix très élevés, pouvant dépasser les 150 000 euros, et sont jalousement gardés dans des collections ou des musées. La BX 4TC est ainsi passée du statut de honte nationale à celui de mythe automobile, une pièce d’exception qui, malgré ses imperfections, incarne l’audace et la folie d’une ère où tout semblait possible en sport automobile. Son histoire sert de leçon : dans la course à la performance, l’ambition et l’effort ne suffisent pas toujours, surtout lorsque le temps et les ressources viennent à manquer. Elle demeure, malgré tout, une héroïne tragique et authentique du Groupe B.

Conclusion

En définitive, la Citroën BX 4TC est bien plus qu’un simple échec dans les livres d’histoire de l’automobile. Elle est le témoin d’une ambition, celle de Citroën de se mesurer aux meilleurs sur le terrain du rallye, à une époque où la démesure était la règle. Son développement contraint, basé sur une berline de série, et ses choix techniques audacieux mais inadaptés, ont conduit à une carrière sportive aussi brève que médiocre. Pourtant, c’est précisément cette imperfection, cette lutte contre des adversaires surpuissants et son histoire dramatique – jusqu’à la tentative d’effacement par son propre créateur – qui forgent sa légende aujourd’hui. La BX 4TC, la voiture que Citroën voulait oublier, est devenue intouchable. Son parcours rappelle que dans le sport automobile, comme dans bien d’autres domaines, la valeur ultime d’un objet ne réside pas toujours dans ses succès, mais parfois dans le récit unique et poignant dont il est porteur. La BX 4TC, dans son échec même, a réussi à incarner l’esprit aventureux et sans concession du Groupe B, et c’est en cela qu’elle mérite amplement sa place au panthéon des automobiles légendaires.