BMW Série 6 (E24) 635 CSi

L’histoire de l’automobile est ponctuée de modèles qui, au-delà de leur fonction première, sont devenus des icônes, cristallisant l’esprit d’une époque et les aspirations d’une génération. La BMW Série 6 E24, et plus particulièrement sa version emblématique, la 635 CSi, appartient indéniablement à cette catégorie. Apparue en 1976 dans un paysage automobile marqué par les chocs pétroliers, elle fit le pari audacieux de l’élégance et de la performance, incarnant avec une grâce souveraine le concept de « Conduire Automobile » – Fahrfreude. Elle n’était pas simplement une GT de plus ; elle était l’héritière directe des fastueux coupés BMW des années précédentes, comme la 3.0 CSL, et elle sut porter ce flambeau avec une autorité et un style qui forcèrent l’admiration. Dans un monde où la compromission semblait être la règle, la E24 affirmait une forme d’insolente perfection, mariant une ligne d’une pureté intemporelle à une mécanique raffinée et efficace. Cette analyse se propose de retracer le parcours de cette automobile légendaire, en explorant ses origines et sa généalogie, son design d’une étonnante modernité, son habitacle dédié au conducteur, ses spécifications techniques et son évolution, sa réception par la critique et le public, et enfin, l’héritage durable qu’elle a laissé dans le paysage automobile.

La genèse et l’héritage d’une lignée

La naissance de la E24 ne peut se comprendre sans se pencher sur le glorieux héritage dont elle est la dépositaire. Au début des années 1970, BMW connaît un renouveau spectaculaire, porté par ses « Neue Klasse » et affirmant sa position de constructeur de voitures sportives et distinguées. Le couronnement de cette renaissance est la série des coupés dérivés de la Série 5, notamment la 3.0 CS et surtout la 3.0 CSL, cette dernière devenant une légende sur les circuits grâce à ses victoires en Championnat d’Europe des Voitures de Tourisme. Lorsque l’heure arrive de remplacer ces modèles, la mission confiée à Paul Bracq, alors directeur du design chez BMW, est des plus délicates : il s’agit de créer une voiture qui soit digne de ce passé prestigieux tout en regardant résolument vers l’avant. Le projet E24 est lancé, et la nouvelle venue est présentée au Salon de l’automobile de Genève en 1976. D’emblée, elle se positionne au sommet de la gamme BMW, non seulement par son prix, mais aussi par son ambition. Elle incarne la quintessence du savoir-faire de la marque bavaroise, synthétisant le sport, le luxe et l’élégance dans un package d’une cohérence remarquable. Elle n’est pas une voiture de masse, mais une voiture d’initiés, un objet de désir pour ceux qui privilégient le plaisir de conduire et le sous-entendu à l’ostentation.

Le design, une étude de pureté et d’élégance intemporelle

La ligne de la BMW E24 est un chef-d’œuvre de pureté et d’équilibre. Elle est souvent citée comme l’une des plus belles automobiles jamais produites, et ce jugement n’a rien d’usurpé. Son design, d’une élégance sobre et racée, semble échapper aux modes et au passage du temps. La silhouette est longue et fuselée, avec un capot particulièrement bas et une ceinture de caisse haute qui lui confère une assise solide et dynamique. La signature la plus célèbre de la E24 est sans conteste son « kick-up » arrière, cette remontée caractéristique de la vitre de custode et de la ligne de caisse au-dessus de l’aile arrière. Ce détail, à la fois esthétique et aérodynamique, donne à la voiture son profil si reconnaissable, évoquant un félin prêt à bondir. La face avant, avec sa célèbre calandre dite « double rein » – désormais noire et plus large – et ses phares rectangulaires escamotables, affiche une présence à la fois distinguée et déterminée. Quand les phares sont rétractés, la face avant devient d’une nudité et d’une pureté extraordinaires. Les lignes sont nettes, les surfaces lisses et dénuées de fioritures. Aucun appendice inutile ne vient troubler l’harmonie générale. L’arrière, traité avec une grande simplicité, est orné de feux étirés et larges qui ancrent visuellement la voiture au sol. La E24 ne crie pas sa performance ; elle la suggère par la tension de ses lignes, par son équilibre parfait et par une élégance qui n’a rien à prouver.

L’habitacle, le poste de pilotage du connaisseur

Pénétrer dans l’habitacle de la 635 CSi, c’est entrer dans un sanctuaire dédié à l’art de conduire. L’ambiance est sérieuse, fonctionnelle et tournée vers le conducteur. Loin des fastes des coupés de luxe contemporains, l’intérieur de la BMW privilégie la sensation de contrôle et la qualité des matériaux. Le tableau de bord, parfaitement droit, est incliné vers le conducteur, regroupant tous les instruments et commandes à portée de main et de regard. Les compteurs ronds, au cadran blanc et aux aiguilles fines, offrent une lisibilité parfaite. La place de conduite est réglable avec une grande précision, permettant de trouver une position au volant des plus naturelles. Le fameux « volant sport » à quatre branches, gainé de cuir, est un joyau en soi, transmettant avec une fidélité remarquable les informations venues de l’avant. La qualité de finition est exemplaire pour l’époque. Les sièges, en velours ou en cuir de belle facture, offrent un excellent maintien latéral sans sacrifier le confort sur les longues distances. L’espace aux places arrière, comme souvent dans ce type de coupé, est plutôt symbolique, réservé aux bagages ou aux enfants. Mais l’essentiel est ailleurs. Chaque détail, de la lourdeur satisfaisante de la fermeture des portières au clic précis des commutateurs, contribue à une impression de solidité et de qualité intrinsèque. L’habitacle de la E24 n’est pas un salon de repos ; c’est un poste de commandement où le conducteur se sent connecté à la machine, invité à prendre part active au voyage.

La mécanique et l’évolution technique, le cœur d’une sportive distinguée

La BMW 635 CSi tire son nom et sa réputation de son moteur, un six cylindres en ligne de 3,5 litres désigné sous le code M30. Ce bloc, robuste et fiable, est l’un des fleurons de la production BMW. Dans sa version initiale, il développe deux cent dix-huit chevaux, une puissance très saine pour l’époque, permettant des performances à la fois vives et souples. La philosophie de ce moteur n’est pas la puissance brute à haut régime, mais la délivrance d’un couple généreux et constant sur une large plage d’utilisation. Cette caractéristique fait de la 635 CSi une routière hors pair, capable de reprises franches en toute circonstance sans nécessiter de descendre les rapports de manière frénétique. Le son de ce six cylindres, à la fois rauque et feutré, est devenu l’une des signatures sonores les plus appréciées des amateurs. Initialement associée à une boîte manuelle à quatre rapports, elle recevra plus tard une boîte à cinq rapports, puis une automatique à trois ou quatre rapports. La suspension, indépendante sur les quatre roues, est conçue pour offrir un compromis idéal entre tenue de route sportive et confort appréciable. Au fil de sa carrière, la E24 va connaître plusieurs évolutions. Un léger restylage en 1982 affine certains détails, comme les feux arrière. Mais la plus importante évolution intervient avec l’adoption, sur certains marchés et à partir de 1985, d’un système de gestion moteur électronique, et surtout, avec l’arrivée de la M635 CSi. Cette version, équipée du mythique moteur M88/3 issu de la M1, développe deux cent seize chevaux en version catalysée et devient l’incarnation ultime de la performance pour la E24, une véritable voiture de course habillée en grand tourisme.

Réception et postérité, de la consécration critique au statut d’icône

Dès son lancement, la BMW 635 CSi a été accueillie avec un concert d’éloges par la presse spécialisée du monde entier. Les journalistes saluaient son équilibre parfait, sa motricité exemplaire, son freinage efficace et son comportement routier d’une grande neutralité et d’une précision remarquable. Elle était perçue comme une voiture qui flattait le talent du conducteur, qui rendait bon sur la route. Elle n’imposait pas un caractère nerveux ou difficile, mais se contentait d’obéir avec une docilité et une précision qui inspiraient une confiance absolue. Ce n’était pas une brute, mais une arme de précision. Sur le marché, son prix élevé en restreignait l’accès à une clientèle aisée et connaisseuse, ce qui participa à forger son image d’objet exclusif et distingué. Elle devint la voiture de l’archétype du « yuppie » des années 1980, symbole de réussite sociale et de bon goût. Sa carrière s’est poursuivie jusqu’en 1989, année où elle a cédé sa place à la nouvelle Série 8 (E31). Mais loin de sombrer dans l’oubli, la E24 n’a cessé de voir sa cote et son prestige grandir au fil des ans. Elle est aujourd’hui une icône incontestée, une voiture de collection très recherchée, dont la valeur ne fait que croître. Les amateurs célèbrent en elle la dernière des grandes BMW « simples » et pures, conçue avant la complexité électronique massive, une automobile où le dialogue entre l’homme et la machine reste direct et sans filtre.

Conclusion

La BMW Série 6 E24 635 CSi occupe une place à part dans l’histoire automobile. Elle est bien plus qu’un simple modèle du passé ; elle est l’archétype du Grand Tourisme à l’européenne, une synthèse presque parfaite entre les valeurs sportives et le raffinement. Sa ligne, d’une élégance intemporelle, continue de susciter l’admiration près d’un demi-siècle après sa création. Son habitacle, bien que spartiate comparé aux standards actuels, reste un modèle d’ergonomie et de focalisation sur l’essentiel : le plaisir de conduire. Sa mécanique, fiable et charismatique, incarne la philosophie du six cylindres en ligne, une spécialité bavaroise portée ici à un haut niveau de perfection. La 635 CSi n’a jamais cherché à être la plus puissante ou la plus radicale ; elle a visé l’équilibre suprême, et c’est dans cette recherche qu’elle a trouvé l’excellence. Elle représente un chapitre essentiel de l’histoire de BMW, celui où la marque affirmait avec une sereine confiance son identité, bâtie sur le pilier indéfectible du plaisir de conduire. Aujourd’hui, elle demeure une référence absolue, un objet de désir pour les collectionneurs et un témoignage bouleversant d’une époque où l’automobile était avant tout une source d’émotion et d’évasion.