BMW Série 6 (E24) 633 CSi

L’histoire de l’automobile est marquée par des modèles qui, au-delà de leur simple fonction utilitaire, parviennent à incarner l’esprit d’une époque et l’essence même d’une marque. La BMW Série 6 E24, dans sa version initiale 633 CSi, occupe une place particulière dans ce panthéon. Dévoilée en 1976, elle n’était pas simplement un nouveau modèle ; elle était l’héritière directe et légitime des prestigieux coupés BMW des années soixante et soixante-dix, tels que les 3.0 CS et CSL, dont elle devait perpétuer le legs en l’adaptant à son temps. Dans un contexte automobile marqué par les chocs pétroliers et une remise en question générale des voitures de grand tourisme, la 633 CSi fit le pari audacieux de l’élégance, de la distinction et d’une performance raffinée. Elle ne cherchait pas la démesure, mais l’équilibre parfait. Elle incarnait avec une sereine assurance le concept du « Conduire Automobile » – la Fahrfreude – dans sa forme la plus aboutie et la plus accessible de la gamme E24. Cette analyse se propose de retracer l’épopée de cette automobile fondatrice, en explorant ses origines et sa genèse, son design d’une pureté remarquable, son habitacle dédié à l’art de conduire, ses caractéristiques mécaniques et son évolution, sa réception par le public et la critique, et enfin, l’héritage durable qu’elle a laissé dans le sillage de la plus célèbre des E24, la 635 CSi.

La genèse et l’héritage, la naissance d’une lignée

La création de la BMW E24 ne peut se comprendre sans se replacer dans le contexte du renouveau spectaculaire qu’a connu la marque bavaroise au début des années soixante-dix. Portée par le succès de ses « Neue Klasse » et de ses Série 5, BMW affirme alors son positionnement de constructeur de voitures sportives et distinguées. Le couronnement de cette renaissance est la série des coupés dérivés des berlines, notamment la 3.0 CS et, point d’orgue, la légendaire 3.0 CSL, devenue une icône des circuits. Lorsque l’heure arrive de remplacer ces modèles devenus cultes, la mission confiée aux équipes de BMW est des plus délicates : il s’agit de créer une voiture qui soit digne de ce passé prestigieux tout en regardant résolument vers l’avant. Le projet E24 est lancé, et la nouvelle venue est présentée au Salon de l’automobile de Genève en 1976. La 633 CSi en est la version de lancement, le modèle qui va incarner la nouvelle identité des grands coupés BMW. Elle se positionne d’emblée au sommet de la gamme, non seulement par son prix, mais aussi par son ambition. Elle est la gardienne d’un héritage, le chaînon qui relie la gloire des CSL à l’ère moderne, synthétisant le sport, le luxe et l’élégance dans un ensemble d’une cohérence remarquable.

Le design, une étude de pureté et d’équilibre

La ligne de la BMW 633 CSi est un chef-d’œuvre de design automobile, souvent citée comme l’une des plus belles et des plus pures jamais produites. Son style, d’une élégance sobre et racée, semble transcender les modes et les époques. La silhouette est longue, basse et fuselée, avec un capot particulièrement effilé et une ceinture de caisse haute qui lui confère une assise solide et dynamique. La signature la plus emblématique de la E24 est sans conteste son « kick-up » arrière, cette remontée caractéristique de la vitre de custode et de la ligne de caisse au-dessus de l’aile arrière. Ce détail, à la fois esthétique et aérodynamique, donne à la voiture son profil si reconnaissable, évoquant un félin aux aguets. La face avant, avec sa célèbre calandre « double rein » – désormais noire et plus large – et ses phares rectangulaires escamotables, affiche une présence à la fois distinguée et déterminée. Lorsque les phares sont rétractés, la face avant devient d’une nudité et d’une pureté extraordinaires, épurée de tout élément superflu. Les lignes sont nettes, les surfaces lisses et dénuées de fioritures. Aucun appendice inutile ne vient troubler l’harmonie générale. L’arrière, traité avec une grande simplicité, est orné de feux étirés et larges qui ancrent visuellement la voiture au sol. La 633 CSi ne crie pas sa performance ; elle la suggère par la tension de ses lignes, par son équilibre parfait et par une élégance qui n’a rien à prouver.

L’habitacle, le poste de pilotage du connaisseur

Pénétrer dans l’habitacle de la 633 CSi, c’est entrer dans un sanctuaire dédié à l’art de conduire. L’ambiance est sérieuse, fonctionnelle et résolument tournée vers le conducteur. Loin des fastes ostentatoires de certains coupés de luxe contemporains, l’intérieur de la BMW privilégie la sensation de contrôle et la qualité intrinsèque des matériaux. Le tableau de bord, parfaitement droit, est incliné vers le conducteur, regroupant tous les instruments et commandes à portée de main et de regard. Les compteurs ronds, au cadran blanc et aux aiguilles fines, offrent une lisibilité parfaite. La place de conduite est réglable avec une grande précision, permettant de trouver une position au volant des plus naturelles. Le volant, souvent de type sport à quatre branches et gainé de cuir, est un joyau en soi, transmettant avec une fidélité remarquable les informations venues de l’avant. La qualité de finition est exemplaire pour l’époque. Les sièges, en velours ou en cuir de belle facture, offrent un excellent maintien latéral sans sacrifier le confort sur les longues distances. L’espace aux places arrière, comme souvent dans ce type de coupé, est plutôt symbolique, mais l’essentiel est ailleurs. Chaque détail, de la lourdeur satisfaisante de la fermeture des portières au clic précis des commutateurs, contribue à une impression de solidité et de qualité pérenne. L’habitacle de la 633 CSi n’est pas un salon de repos ; c’est un poste de commandement où le conducteur se sent connecté à la machine, invité à prendre une part active au voyage.

La mécanique et l’évolution technique, le raffinement avant la démesure

La BMW 633 CSi tire son nom et son identité de son moteur, un six cylindres en ligne de 3,2 litres désigné sous le code M30. Ce bloc, réputé pour sa robustesse et sa fiabilité légendaires, est l’un des fleurons de la production BMW. Dans sa version initiale, il développe environ cent quatre-vingt-dix-sept chevaux, une puissance saine et civilisée qui définit le caractère de la voiture. La philosophie de ce moteur n’est pas la puissance brute à haut régime, caractéristique qui sera plus tard l’apanage de la 635 CSi, mais la délivrance d’un couple généreux et constant sur une large plage d’utilisation. Cette caractéristique fait de la 633 CSi une routière hors pair, capable de reprises franches et souples en toute circonstance, sans nécessiter de solliciter constamment les régimes élevés. Le son de ce six cylindres, à la fois rauque et feutré, est devenu l’une des signatures sonores les plus appréciées des puristes. Elle était initialement associée à une boîte manuelle à quatre rapports, puis à une boîte à cinq rapports, ou une automatique à trois rapports. La suspension, indépendante sur les quatre roues, est conçue pour offrir un compromis idéal entre tenue de route sportive et confort appréciable, parfaitement en phase avec son statut de Grand Tourisme. La 633 CSi a connu une évolution au cours de sa carrière, avec un léger restylage en 1982 qui a notamment modifié les feux arrière. Elle a préparé le terrain et éduqué une clientèle au raffinement des grands coupés BMW, ouvrant la voie à la plus puissante et plus célèbre 635 CSi, dont elle partageait l’essentiel des qualités, dans une approche peut-être encore plus accessible et équilibrée.

Réception et postérité, la consécration d’un classique immédiat

Dès son lancement, la BMW 633 CSi a été accueillie avec un concert d’éloges par la presse spécialisée internationale. Les journalistes saluaient son équilibre parfait, sa motricité exemplaire, son freinage efficace et son comportement routier d’une grande neutralité et d’une précision remarquable. Elle était perçue comme une voiture qui flattait le talent du conducteur, qui rendait bon sur la route. Elle n’imposait pas un caractère nerveux ou difficile, mais se contentait d’obéir avec une docilité et une précision qui inspiraient une confiance absolue. Ce n’était pas une brute, mais une arme de précision, une voiture pour connaisseurs. Sur le marché, son prix élevé en restreignait l’accès à une clientèle aisée et avertie, ce qui participa à forger son image d’objet exclusif et distingué. Elle devint la voiture de l’archétype du professionnel exigeant des années 1970 et 1980, symbole d’une réussite sociale alliée à un bon goût certain. Sa carrière en tant que modèle principal fut éclipsée par l’arrivée de la 635 CSi, plus puissante et plus glamour, mais la 633 CSi n’a jamais perdu son statut de version fondatrice, de puriste. Aujourd’hui, dans le monde de la collection, elle jouit d’un respect immense. Les amateurs éclairés voient en elle la quintessence de la E24, une automobile au caractère moins extrême que la M635 CSi, mais peut-être plus fidèle à l’esprit originel de raffinement et d’équilibre qui présida à sa création.

Conclusion

La BMW Série 6 E24 633 CSi occupe une place fondamentale, bien que parfois occultée, dans l’histoire automobile. Elle fut la pierre angulaire sur laquelle s’est bâtie la légende des grands coupés BMW modernes. Sa ligne, d’une élégance intemporelle, continue de susciter l’admiration près d’un demi-siècle après sa création. Son habitacle, bien que spartiate comparé aux standards actuels, reste un modèle d’ergonomie et de focalisation sur l’essentiel : le plaisir de conduire. Sa mécanique, fiable et charismatique, incarnait une philosophie de performance raisonnée et accessible, privilégiant le couple et la souplesse à la puissance brute. La 633 CSi n’a jamais cherché à être la plus radicale ou la plus performante ; elle a visé l’équilibre suprême, l’harmonie entre le design, le comportement routier et le raffinement, et c’est dans cette recherche qu’elle a trouvé l’excellence. Elle représente un chapitre essentiel et fondateur de l’histoire de BMW, celui où la marque affirmait avec une sereine confiance son identité, bâtie sur le pilier indéfectible du plaisir de conduire au quotidien. Aujourd’hui, elle demeure une référence pour les puristes, un témoignage bouleversant d’une époque où l’automobile était avant tout une source d’émotion et d’évasion, et le digne chaînon entre les glorieux ancêtres et les icônes qui lui ont succédé.