Dans l’histoire tumultueuse des constructeurs automobiles spécialisés, certaines voitures jouent un rôle crucial de transition, assurant la survie économique sans pour autant captiver les projecteurs. La Lotus Excel, produite de 1982 à 1992, est précisément de ces modèles. Souvent éclipsée par ses aînées plus glamour comme l’Esprit ou par la révolution que constituera plus tard l’Elise, l’Excel représente pourtant un chapitre essentiel de la saga Lotus. Elle incarne la rationalisation et la maturation d’une marque qui, après les ambitieux mais coûteux projets de l’ère Elite/Eclat, devait impérativement retrouver une assise financière. Plus qu’une simple évolution, l’Excel est le fruit d’une refonte en profondeur de l’Eclat, visant à corriger ses défauts, à réduire ses coûts de production et à proposer une voiture plus fiable et plus aboutie. Cette analyse se propose de redécouvrir ce modèle méconnu à travers six chapitres, en explorant sa genèse pragmatique, ses améliorations techniques significatives, son positionnement commercial astucieux et l’héritage discret mais fondamental qu’elle a laissé au constructeur de Hethel.
Contexte historique et genèse d’une évolution raisonnée
Le début des années 1980 est une période charnière et difficile pour Lotus. Le lancement des modèles Elite et Eclat dans la seconde moitié des années 1970, bien qu’audacieux, n’avait pas rencontré le succès commercial escompté. Leur développement coûteux et des problèmes de fiabilité persistants avaient mis à mal la trésorerie de l’entreprise, au point de frôler la faillite. Le rachat par Toyota en 1983 n’était pas encore acté, et la survie de Lotus reposait sur sa capacité à générer rapidement des revenus avec des modèles existants, tout en restaurant sa réputation. C’est dans ce contexte de crise que le projet Excel a émergé. Il ne s’agissait pas de créer une voiture nouvelle, mais de procéder à une mise à jour profonde et intelligente de l’Eclat, dont les défauts étaient désormais bien identifiés.
La genèse de l’Excel est donc celle d’un exercice de rationalisation et d’optimisation. Dirigé par Mike Kimberley, alors directeur général, le projet avait pour mandat d’adresser les points faibles de l’Eclat, notamment sa fiabilité et ses finitions, tout en réduisant significativement les coûts de production. Le nom « Excel » fut choisi pour marquer une rupture positive avec le passé et signifier l’excellence atteinte grâce à cette refonte. L’objectif était double : fidéliser la clientèle existante de l’Eclat en lui proposant un produit bien plus abouti, et attirer de nouveaux clients qui avaient été effrayés par les lacunes des modèles précédents. L’Excel devait être la preuve que Lotus pouvait apprendre de ses erreurs et produire une voiture à la fois séduisante et fiable, sans pour autant disposer des ressources d’un grand constructeur. Elle fut le produit de la nécessité, une réponse pragmatique à une situation économique périlleuse.
Design et architecture : une refonte signée Toyota
Si la base technique de l’Excel provenait directement de l’Eclat, avec son empattement central en acier et sa carrosserie en fibre de verre, sa transformation la plus visible fut esthétique. La carrosserie fut entièrement redessinée, mais de manière à préserver l’identité générale du coupé 2+2. Les modifications les plus notables concernaient l’avant et l’arrière. L’Excel adopta des feux arrière redessinés, plus modernes et mieux intégrés, et un nouvel ensemble de pare-chocs intégrés qui lui conféraient une allure plus cohérente et actuelle. Ces éléments n’étaient pas seulement un lifting esthétique ; ils étaient le fruit d’une collaboration naissante avec un partenaire inattendu : Toyota.
L’implication de Toyota, avant même le rachat officiel, fut un tournant décisif. Le géant japonais fournit certains éléments clés, dont les rétroviseurs et les mécanismes des phares escamotables, pièces notoirement fragiles sur les modèles précédents. L’influence la plus significative se fit sentir à l’intérieur. L’habitacle de l’Excel fut une révolution pour Lotus. Il abandonna les vieillissants instruments et commandes de l’Eclat pour un tableau de bord et des équipements directement issus de la Toyota Celica Supra (Mark II). Ce partenariat apporta une amélioration spectaculaire de la qualité perçue et de la fiabilité des accessoires. Les compteurs, la ventilation, les commutateurs et la planche de bord elle-même affichaient un niveau de finition et de robustesse jusque-là inconnu chez Lotus. Cette injection de savoir-faire japonais transforma l’expérience de conduite, faisant passer l’Excel du statut de voiture au charme artisanal à celui d’une GT au cockpit moderne et fiable.
La technique au service de la fiabilité et de l’usage au quotidien
Sur le plan mécanique, la Lotus Excel ne chercha pas la révolution, mais l’évolution et la consolidation. Elle conserva le moteur Lotus type 912, un quatre cylindres en ligne de 2,2 litres à double arbre à cames en tête et 16 soupapes, héritage de l’Elite et de l’Eclat. Ce moteur, d’une conception intrinsèquement saine, fut l’objet de nombreuses améliorations visant à en renforcer la durabilité et la facilité d’entretien. La gestion électronique fut révisée, et l’ensemble des joints, des courroies et des composants auxiliaires fut scruté pour éliminer les points de défaillance chroniques. La puissance annoncée était de 160 chevaux, offrant des performances plus qu’honorables pour une GT de cette époque, avec un 0 à 100 km/h avalé en un peu moins de 8 secondes et une vitesse de pointe avoisinant les 215 km/h.
La boîte de vitesses manuelle à cinq rapports était de série, et une boîte automatique à trois rapports restait en option. La plateforme, éprouvée, avec sa suspension indépendante aux quatre roues à bras triangulés et ressorts hélicoïdaux, fut retouchée pour offrir un compromis encore plus réussi entre le confort et la tenue de route. La direction, précise et communicative, restait un point fort. Le véritable progrès résidait dans l’ensemble de la chaîne cinématique, désormais plus douce, plus fiable et moins sujette aux problèmes de jeunesse. L’Excel ne prétendait pas être la sportive la plus radicale de sa génération, mais elle visait à être la Lotus la plus facile et la plus agréable à vivre au quotidien. Elle offrait le plaisir de conduite caractéristique de la marque, mais sans l’anxiété constante d’une panne mécanique. C’était une voiture conçue pour être utilisée intensivement, et non pour passer son temps en atelier.
Positionnement sur le marché et concurrence
Le positionnement de la Lotus Excel sur le marché était à la fois clair et délicat. Elle se situait dans le créneau des GT 2+2 au caractère sportif, mais son prix, bien que conséquent, était inférieur à celui de la Lotus Esprit, laissant ainsi une place dans la gamme. Son principal atout concurrentiel n’était pas la performance brute, mais la valeur usage. Face à des rivales comme la Porsche 944, la Toyota Celica Supra justement, ou la Nissan 300ZX, l’Excel proposait une alternative résolument britannique, fondée sur l’agilité, la légèreté relative et l’exclusivité.
Elle ne cherchait pas à battre la 944 sur son propre terrain, celui de la précision technique allemande, ni à rivaliser avec la sophistication et la puissance des japonaises. Son argument était plus subtil : elle offrait une expérience de conduite plus analogique, plus engageante, dans une carrosserie en fibre de verre qui la rendait unique et lui conférait une légèreté salutaire. Elle s’adressait à un conducteur qui cherchait la sensation de conduite pure, sans les aides électroniques qui commençaient à se généraliser, mais qui refusait de faire des compromis sur le confort et la fiabilité de base. L’Excel était la Lotus du chef de petite entreprise, du professionnel qui voulait une voiture distinctive, amusante à conduire le week-end, mais capable de l’emmener à un rendez-vous client en semaine sans trahir sa confiance. Ce positionnement « sportivité utilisable » lui permit de trouver son public, un public peut-être moins flamboyant que celui de l’Esprit, mais sans doute plus large et plus fidèle.
Accueil critique et commercial : un succès d’estime
Lors de son lancement, la Lotus Excel fut accueillie très favorablement par la presse automobile spécialisée. Les journalistes, qui connaissaient bien les défauts de l’Eclat, saluèrent unanimement les progrès accomplis. Les qualités routières inhérentes à la plateforme – agilité, tenue de route impeccable, freinage efficace – étaient toujours présentes et même améliorées. Mais les éloges se portèrent surtout sur les avancées en matière de finition et de fiabilité. L’habitacle, grâce aux apports Toyota, fut décrit comme un havre de paix bien mieux achevé, et la voiture dans son ensemble donnait une impression de solidité nouvelle.
Commercialement, l’Excel peut être considérée comme un succès relatif, mais un succès vital. Avec environ 2 500 exemplaires produits en dix ans, ses chiffres de vente ne firent pas trembler Porsche, mais ils dépassèrent ceux de l’Eclat qu’elle remplaçait. Surtout, elle permit à Lotus de stabiliser sa situation financière en maintenant une activité de production et des entrées d’argent régulières. Elle devint le best-seller de la marque pendant une grande partie des années 1980, avant d’être détrônée par l’Elan M100. Sa fiabilité améliorée eut un impact positif sur l’image de marque globale de Lotus, contribuant à panser les plaies de l’ère précédente. L’Excel ne fut jamais une voiture de rêve pour les masses, mais elle fut une voiture de raison pour de nombreux amateurs de la marque, qui y trouvèrent le plaisir Lotus sans les tracas habituels. Elle fut appréciée pour ce qu’elle était : une évolution très aboutie, honnête et efficace.
Héritage et postérité d’une Lotus oubliée
L’héritage de la Lotus Excel est largement sous-estimé. Son rôle fut pourtant fondamental dans l’histoire de la marque. Tout d’abord, elle fut le banc d’essai de la collaboration avec Toyota, un partenariat qui allait s’avérer crucial lors du rachat et qui influencerait profondément la culture qualité de Lotus par la suite. Les leçons apprises en matière de contrôle de la qualité et de fiabilité lors du développement de l’Excel ont directement profité aux modèles suivants, notamment l’Elan M100.
Ensuite, l’Excel a démontré la viabilité d’une approche plus pragmatique et industrialisée chez Lotus. Elle a prouvé qu’il était possible de créer une voiture passionnante sans nécessairement tout repenser à partir de zéro, mais en améliorant intelligemment une base existante. Cette philosophie de l’évolution continue et de la rationalisation fut essentielle pour la survie à court terme de l’entreprise. Aujourd’hui, l’Excel est une voiture de collection méconnue, souvent dans l’ombre de l’Esprit. Pourtant, elle jouit d’une cote attractive et d’un cercle de propriétaires très fidèles, qui apprécient ses qualités de conduite et sa relative facilité d’entretien pour une Lotus de cette époque. Elle incarne une facette moins glamour mais tout aussi importante de l’esprit Lotus : l’intelligence pragmatique, la capacité à s’adapter et à survivre pour pouvoir continuer à construire des voitures exceptionnelles. L’Excel fut le pont nécessaire entre l’ère des GT ambitieuses et fragiles et le renouveau incarné par l’Elan M100 puis, plus tard, par la révolutionnaire Elise. En cela, elle est l’une des Lotus les plus importantes jamais produites.
Conclusion
La Lotus Excel mérite bien plus qu’un simple regard en passant dans les livres d’histoire automobile. Elle fut bien plus qu’une Eclat améliorée ; elle fut le symbole de la résilience et du pragmatisme de Lotus à une époque où son existence était en jeu. En réussissant à transformer un modèle au potentiel inabouti en une voiture fiable, agréable et bien finie, Lotus a démontré sa capacité à écouter la critique et à évoluer. L’Excel a offert à la marque une stabilité financière précieuse et a restauré une partie de sa crédibilité auprès d’une clientèle exigeante. Si elle n’a pas la ligne iconique de l’Esprit ni le caractère révolutionnaire de l’Elise, elle possède des vertus tout aussi nobles : la fiabilité, l’honnêteté et une grande efficacité. Elle reste la preuve que le génie de Lotus ne résidait pas seulement dans l’innovation de rupture, mais aussi dans l’intelligence de l’optimisation et dans le courage de corriger ses erreurs. L’Excel est, in fine, la Lotus qui a permis aux autres d’exister.